vendredi 11 octobre 2024
AccueilCHRONIQUESAmbroise PerrinLe petit train-train des amoureux poètes de Molsheim

Le petit train-train des amoureux poètes de Molsheim

C’était bien avant les réseaux sociaux dans les années 1980 un peu zozos. Pour lancer une bouée à la mer, on écrivait au journal, qui la publiait à la rubrique « Je vous ai vu, vous êtes-vous reconnu ? »
Suivait un chiffre de référence pour la rédaction, qui transmettra : « vous portez une blouse blanche bien repassée et non boutonnée, sur un jean bleu délavé, je vous vois monter chaque matin à l’arrêt… »,
suit le nom de la gare, Molsheim, quelle adorable petite ville. Ce jour-là, la jeune fille si aimablement détaillée répondit élégamment : Molsheim est sans secret, ma vie est sans mystère
Mon bonheur est public, je ne peux le taire.
Votre cœur par-dessus tout craint d’être solitaire
Oui, il faut être deux pour le bonheur sur terre.
De votre immense amour en un moment conçu
Avant qu’il ne fût né, je crois que je l’ai su.

Tous les passagers de l’autorail Obernai-Molsheim s’amusèrent de l’idylle naissante, il n’y avait que 13 km avant que l’on ne descende, était-ce lui, un bouquet à la main, était-ce elle, au sourire chagrin ?
Pourriez-vous, m’adorant, passer inaperçu,
Il fallait demander, et vous auriez reçu !
Quoi, c’est déjà trop tard, cette belle histoire serait un cauchemar ? L’audacieux un peu trop timide, et la jolie qui joue la sylphide ? C’est en train qu’au Parnasse, un téméraire auteur pense de l’art des vers atteindre la hauteur. La jeunesse amoureuse n’ayant pas d’âge, les passagers se mobilisèrent pour forcer le destin d’un coquin passage. Altorf, Avolsheim, Dachstein, Dorlisheim, Mutzig, Soultz-les Bains, Wolxsheim, dommage, personne ne monte ni ne descend. On imagina l’amoureux venant de Saint-Dié ou de Saverne via Wasselonne. On lui suggéra des rendez-vous à la Porte des Forgerons ou à l’Hôtel de la Monnaie. Les jeunes filles, toutes, portèrent des chemisiers blancs, échancrés, repassés, déboutonnés, des chemisiers, oui, mais libérés. Le journal répéta la petite annonce, les fleuristes inventèrent de charmants petits bouquets voyageurs. Molsheim se pâmait.

Que c’est bon d’être tourtereau sous les tilleuls et d’être porté par des semelles de vent. Un vigneron réserva une cuvée pour lui donner les prénoms des langoureux dès dévoilés. Peut-être était-ce le fantôme de l’écrivain Camille Schneider, qu’on disait amoureux de sa maman, qui s’amusait à leurs dépens ? Ou le peintre de la Palette d’Or, Jean-Paul Schaeffer, à la recherche des scènes bucoliques de cet heureux transport ?
Le plus discret désir, murmuré sous vos pas,
Nous devinons ce couple, on n’insistera pas.
Les amoureux, il est vrai,
S’adorent, en secret.

Ambroise Perrin

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