mercredi 24 avril 2024
AccueilÀ la uneKaren Chataigner - Une femme drôlement sérieuse

Karen Chataigner – Une femme drôlement sérieuse

Particulièrement sensible aux droits de la femme et des êtres humains en général, la comédienne Karen Chataigner use de son cheminement personnel pour en débattre sur scène et en entreprise, dans un concept qui lui est propre : l’humour sérieux. Avant la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes le 25 novembre (lire encadré), Maxi Flash lui a tendu le micro, comme elle le fait dans ses conférences stand-up.

Vous avez commencé votre carrière en tant que chimiste et êtes actuellement comédienne. Comment passe-t-on d’un monde à l’autre ?
KC : J’étais un vrai boulet quand j’ai été licenciée de Lilly France : je parlais, je faisais des impros, je respirais de l’hélium et j’allais chanter, j’avais un capital sympathie de malade avec mes collègues, mais du coup la direction a dû trancher, et ça m’a éloignée du monde pharmaceutique. Ce qui n’est peut-être pas plus mal !

Vous avez fait vos premiers pas sur scène avec la compagnie d’improvisation strasbourgeoise Lolita…
Oui, ma journée commençait à 16h quand j’avais fini de mettre des gouttes dans des tubes à essai sans savoir pourquoi… J’ai repris ma liberté et après l’impro, j’ai eu envie d’être toute seule sur scène, mais je suis vite passée de « pour faire rire » à « pour en faire quelque chose ». Je me suis rendu compte que j’avais besoin d’être sur scène pour défendre un propos. Du coup, j’ai adapté mes techniques de la scène et de l’humour à l’entreprise et j’ai créé l’humour sérieux qui me sert à parler de tous les droits humains.

Qu’est-ce que ce concept d’humour sérieux ?
C’est une super accroche pour parler des sujets graves et tabous, avec légèreté, humour et sensibilité, pour ouvrir des débats ou tout du moins pour faire réfléchir. C’est du stand up pédagogique je dirais. J’ai commencé à parler de mon homosexualité, et à faire les tournées de France, les festivals, pas forcément de grosses villes, mais la campagne. C’était très violent pour moi cette période-là, d’aller sur scène en disant je suis lesbienne…

Quand vous parlez alors de votre homosexualité sur scène, quel est l’accueil ?
Il y a quinze ans, personne ne le faisait, pour moi il était temps d’y aller et de pouvoir en rire, d’expliquer comment deux femmes fonctionnent, parce que les hétéros, on les entendait, mais pas les homos. J’ai subi une homophobie crasse et très violente. J’ai été insultée pendant que je jouais, on a voulu me frapper, et devant un parterre de vieux, pas un rire pendant une heure… On sort de là, et on ne sait pas trop quoi faire de cette matière, ça m’a déboussolée, ça ne créait pas ce que je voulais.

Le déclic vient finalement d’un colloque sur les violences faites aux femmes ?
En 2015, je rencontre Mine Günbay, adjointe au maire de Strasbourg à l’époque, avec Bernadette Geissler, organisatrice du colloque. Elle me dit, on te donne 10 minutes pour parler de ce que tu as vécu, parce que ça rentre dans la violence. C’est là où j’ai découvert l’humour sérieux, quand je suis montée sur scène, j’étais complètement moi-même, j’étais chargée mais libre : j’ai trouvé mon clown de scène, qui parle de choses cruelles et violentes avec mon style.

De fil en aiguille, vous devenez l’ambassadrice de la Fédération nationale solidarité femmes qui gère le numéro d’urgence 3919.
J’y ai fait une conférence devant toutes ces femmes et tous ces hommes qui luttent contre les violences conjugales. Maintenant, je suis proche de beaucoup d’associations rattachées à la fédé, comme Léa à Paris, qui accueille les femmes après leur dépôt de plainte. J’ai un rôle de vitrine, parfois elle m’appelle, je joue et je parle du 3919. Peut-être 2 personnes sur les 100 devant toi connaissent… Je continue et j’ai rencontré le 119, pour la maltraitance sur les enfants et ce sera ma nouvelle aventure dans deux ou trois ans.

Après deux one-woman-shows qui ont tourné dix ans, votre spectacle s’appelle Je danse avec Milliat, de quoi s’agit-il ?
C’est un spectacle un peu engagé, dans le milieu du sport avec la pionnière Alice Milliat, dont j’ai inauguré la statue à la Maison des sports à Paris. Depuis 2020, je suis à fond sur ce spectacle, qui tourne dans les salles et les entreprises, sur demande* ! C’est devenu un outil de sensibilisation, Alice revient d’outre-tombe, et redécouvre ce qu’elle a subi et que les femmes dans le sport subissent encore. Je les rencontre ces femmes, et il y a une ferveur, quelque chose de plus fort que nos biais cognitifs, intégré dans le #metoo qui a renversé un contexte et forcé certains hommes à écouter une parole jusqu’au bout. Et l’équité, il n’y a plus le choix, il faut ces deux places-là dans notre société, sans parler des intersexes ou transgenres ou non-binaires qui ont aussi beaucoup à dire. Mais j’ai l’impression qu’il faudrait un ennemi commun, des extraterrestres qui arrivent pour qu’on puisse les fighter ensemble tous en tant qu’êtres humains !

Karen pendant une conférence stand-up en entreprise. / ©DR

Et dans les conférences stand-up, vous abordez aussi le sexisme ?
Dans les grosses entreprises où j’interviens, je parle des rapports de domination. Qu’est-ce qui est sexiste et ne l’est pas ? Tenir la porte à une femme, ce n’est pas être sexiste, c’est être poli, dire à une femme que sa jupe lui va bien, c’est sexiste, mais pour autant il y a des femmes qui aiment qu’on le leur dise. Si c’est accueilli et accepté, est-ce que c’est sexiste ? Mais ça dépend de nous ! Se permettre de le dire, c’est du sexisme. C’est une question de limite qu’on dépasse sans s’en rendre compte, le sexisme. Un compliment c’est précieux, et il faut savoir à qui on le dit.

On vous sent réellement libre, c’est le cas dans vos journées ?
On a un instinct, quand je dois écrire, j’écris, s’il faut répéter je répète, en ce moment, j’ai envie d’aller aux Bains municipaux, faire un sauna, j’ai une activité culturelle, j’observe les gens… J’écoute les appels, et où qu’on soit, il y a quelqu’un pour nous : plus je me pose de questions sur la vie, plus les gens que je vais rencontrer vont avoir des réponses pour moi. Quand on est libre de faire ce qu’on veut, on raisonne avec ce qui est bon pour nous.

Avez-vous atteint vos objectifs ?
Quand je mourrai à 97 ans dans mon sommeil, j’aurais un grand sourire parce que je les aurai atteints. Après 30 ans de psychanalyse, on fait tout ce qui est possible pour s’aimer… Après, c’est beaucoup plus stable parce que les choses ne nous atteignent plus de la même manière. J’ai porté plainte il y a deux ans pour l’agression dont j’ai été victime petite, et dans mon spectacle j’aimerais bien casser cette gêne parce que j’en aurai fait quelque chose de merveilleux. J’en parle très librement. Je suis convaincue que les choses vont changer, et si ça ne m’était pas arrivé, je ne serais pas la même.
*www.karen-chataigner.com

L’info en plus :

« Une femme meurt tous les trois jours en France »

Depuis 1999, la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes a pour objectif de sensibiliser l’opinion publique à travers des actions choc. À Schiltigheim actuellement, des affiches aux slogans forts sont
placardées : « Dans 15 féminicides, c’est Noël—122 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2021 ». Karen Chataigner tient le même discours : « Aujourd’hui une femme meurt tous les trois jours en France. Une femme qui est sous l’influence psychique, psychologique et physique de son bourreau attend vraiment d’être en danger de mort pour se signaler. Et c’est la problématique, et encore plus pendant le covid, et aussi souvent avec leurs enfants… Plus on va déconstruire tôt la dérive du bleu-rose, plus on va casser ces codes de virilité ».

Karen dans le rôle d’Alice Milliat. / ©P.Guigou
ARTICLES SIMILAIRES

LES PLUS POPULAIRES