samedi 4 mai 2024
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Olivier Nasti – La vie simplement

Aujourd’hui c’est moi qui cuisine l’un des chefs français les plus talentueux de sa génération, je le cook comme disent les jeunes d’aujourd’hui. Nous avons rendez-vous dans son univers, à Kaysersberg : sa Table deux étoiles Michelin, son hôtel, son tea-time, sa brasserie, sa boulangerie et sa chocolaterie réunis dans un même lieu, le paradis des Nasti, et au milieu de tout ça, une petite pièce, secrète, le lieu où sont affichés les souvenirs, les médailles, les photos, les passions. C’est là que nous prenons un café. Il est 9h, mais Olivier Nasti est réveillé depuis longtemps.

Il est 6h l’hiver, encore plus tôt l’été, lorsque son réveil sonne. Pas question de traîner, l’entreprise Nasti c’est un paquebot de 110 personnes qu’il faut faire avancer. Mais avant de se plonger dans la salle des machines, le commandant fait un peu de sport, du vélo d’appartement, des assouplissements, il lit la presse, regarde une chaîne info. Sa vie est intense comme la passion, elle demande une exigence permanente : « L’excellence, c’est une vie extrêmement compliquée », dit-il. Les heures n’arrêtent pas de tourner. Sa journée va le mener jusqu’à 22h30, avec une sieste cruciale au milieu pour couper un peu. C’est le chef qui a dit ce mot, « cruciale », un peu obsolète, un peu ancien. Le mot d’un homme né dans les années 60, en 1966 exactement, du côté du Lion de Belfort, un homme qui connaît la vie de village, des paysans, du boulanger, le café du coin, la vie de sa France profonde. Très vite, très tôt, le petit Olivier gagne sa croûte en braconnant des fruits, en pêchant ou en distribuant L’Est républicain les week-ends : « Une fois sur deux, j’étais en retard et je me faisais engueuler par les anciens ». Cette période où il travaille énormément déjà lui « inculque » (un autre mot de lui) des valeurs. Ce qu’il est devenu se fonde dans ces années-là. Olivier Nasti a la réputation d’un homme sincère, honnête, fidèle, c’est ce que lui a enseigné ce monde de la terre où l’on ne peut pas tricher. Et puis, comme dans tous les grands destins, il y a les rencontres : la première importante, c’est avec Dominique Mathy du Château Servin à Belfort, deux Étoiles Michelin. Olivier apprend la rigueur avec un chef qui rêve de devenir Meilleur Ouvrier de France et qui voue sa vie à son restaurant. Mathy ne sera jamais MOF, mais Nasti oui.

Il trouve le modèle

En 1985, son CAP cuisine dans la poche de sa veste blanche, il démarre sa carrière de cuisinier à Lausanne, au Luxembourg, à Londres. De retour en France, il intègre la brigade de Jean-Yves Schillinger à Colmar, puis d’Olivier Roellinger à Cancale, avant de rejoindre l’Auberge de l’Ill à l’Illhaeusern avec celui qui devient son modèle, Paul Hæberlin, une autre rencontre essentielle : « Il était proche du monde rural, proche des traditions, je pense que j’ai beaucoup copié ce modèle, je m’inspire encore de cette tradition populaire, cette tradition familiale », avoue Olivier, même si pour lui, dans le modèle, il manque le père. Le sien est décédé lorsqu’il avait 3 ans d’une crise cardiaque.

Le jeune homme a été élevé par sa mère qui exerce le métier de comptable. Aujourd’hui, elle a 85 ans, elle est à ses côtés en Alsace. Lorsqu’il s’est installé dans la région, elle venait le soir, après sa journée de travail à Belfort. Le week-end elle gardait les enfants. À chaque fois qu’Olivier parle de réussite, il évoque avant tout sa famille, une dy-Nasti.

Dans la cuisine de la Table d’Olivier Nasti. / ©Éric Genetet

Une famille qui sait compter

1993 est une bonne année pour le Pinot, Mandela remporte le prix Nobel de la Paix, Johnny fête ses 50 ans au Parc des Princes. C’est le tournant dans la carrière d’Olivier Nasti. Il a 27 ans. Avec Emmanuel, son frère, architecte et sommelier, il rachète le Caveau d’Eguisheim et rencontre Patricia qui deviendra sa femme. Sept ans plus tard, les deux frères reprennent le Chambard à Kaysersberg, ils travaillent ensemble pendant vingt ans avant que leurs chemins se séparent. Ce n’est pas simple, mais ils préservent ce qui a toujours fait leur force, le lien familial. La base. L’autre secret de fabrication, c’est de garder les pieds sur terre. La folie des grandeurs n’a rien à voir avec la réussite. Depuis toujours, le chef privilégie l’économie : « Dans ma vie professionnelle, j’ai rencontré pas mal de pépins, mais je ne lâche pas quand je suis engagé. Et dans nos maisons, lorsque vous achetez, vous savez qu’il faut multiplier par cinq pour gagner un peu d’argent ». On reconnaît un trait de caractère de sa maman comptable qui lui a transmis le goût des chiffres.

Comme des titres de champions de France

Côté palmarès, c’est un bilan éloquent. Nasti a touché le Graal avec le titre de MOF en 2007, sa grande fierté : « J’avais échoué deux fois. C’est compliqué d’exploiter une entreprise et de passer le concours. Alors je me suis entraîné la nuit ». L’autre Graal, c’est la 3e étoile. Il est dans la course chaque année, elle viendra, elle ne viendra pas, mais quoiqu’il arrive les équipes sont en place : « À nous de continuer à faire vivre à nos clients le meilleur moment possible. Cette troisième étoile récompenserait une vie de persévérance et de travail ». Mais il n’y a pas que ça dans sa vie. Cet homme discret parle peu de ses passions. Pourtant, la nature est son oxygène. Il a eu la chance de pêcher à la mouche très jeune dans son village et les plus gros saumons partout dans le monde. Dans quelques mois, il s’envolera pour la Mongolie, pour pêcher bien sûr et pour chasser, une activité de sa jeunesse là-aussi, à l’époque il était plutôt traqueur. Depuis qu’il est chef, il s’est engouffré dans le monde de la cuisine de gibier, sa signature, et il a mis en place son organisation : « Le gibier arrive chez moi dans de très bonnes conditions, avec respect, si ce n’est pas le cas, je ne le prends pas. Un chasseur régule une population, mais il faut le faire avec intelligence. C’est le cas en Alsace ».

L’Alsacien

Alors, pour cette raison et pour des dizaines d’autres, venir en Alsace était LA bonne idée : « Je me suis senti bien tout de suite. Quand je vais quelque part, on me dit “tiens, voilà l’Alsacien”». Il en a eu d’autres de bonnes idées depuis pour monter en une génération, en vingt ans seulement, sa Table deux étoiles, une brasserie, une boulangerie, une chocolaterie, un hôtel… La génération suivante, ses deux filles de 24 et 28 ans, travaille déjà avec lui, elles prendront bientôt les rênes et seront libres de leur choix : « Si mes enfants décident de tout arrêter, de vendre demain, je prendrai cette décision avec elles sans aucun problème ». Car Nasti est du genre à se foutre d’être le plus riche du cimetière, comme dirait Vincent Lindon qui serait très bien dans un biopic retraçant la vie du chef étoilé. Le film se terminerait au bout du monde, le héros y serait en voyage, seul. Chaque année, Olivier quitte sa veste blanche, il fait un grand voyage quelque part dans le monde. Il part en solitaire pendant dix jours, il marche beaucoup, il aime cette remise en question : « Quand vous marchez, quand vous faites un effort, vous n’êtes pas seul », dit-il, lui qui n’est jamais loin de la simplicité des choses. Simplicité, un mot qui n’a rien d’obsolète.

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