dimanche 16 février 2025
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Trois petits mouflets effrontés

Il y a des endroits qui vous attendent au tournant. Une balade digestive jadis effectuée à l’occasion d’un salon du livre à Marlenheim m’avait laissé dans un coin de mémoire l’image de trois marmots. Trois drôles de petites têtes blanches, en céramique vernie, pointant leur nez au-dessus d’un mur de grosses briques. Je me rappelle très bien avoir imaginé que, de l’autre côté du mur, on voyait qu’ils avaient grimpé sur une vieille échelle vermoulue ou un improbable empilement de pierres en grès rose. Quand je passais dans le coin, je pensais parfois à eux.

Il fallait bien finir par retourner les saluer

Or voilà qu’un de ces derniers jours, j’ai envie de les retrouver. J’ai pas mal de choses à faire dans la journée, mais comme je suis tombée du lit avant l’aube, en me débrouillant bien, je peux être de retour à la maison pour 10 heures.

Descendue du bus 230 devant la Médiathèque, j’ajuste mon écharpe avant d’enfiler mes gants. Le soleil vient à peine de se lever, j’inspire à pleins poumons l’air frais… et constate qu’il n’y a, autour de moi, pas âme qui vive pour m’aider à m’orienter. Hardi, hardi, tant pis : je m’élance, confiante, en direction du nord. De mémoire, c’est par là que je trouverai ce que je suis venue chercher. Hélas, j’ai beau trottiner ici et là, scruter les alentours, je fais chou blanc. L’air est de plus en plus humide. Je ne vais pas me laisser abattre pour si peu.

©documents remis
« Ils étaient trois petits enfants qui s’en allaient glaner aux champs »

Sans transition, un refrain presque oublié vient s’inviter entre mes deux oreilles : plus tellement de saison, il évoque trois innocents rappelés à la vie longtemps après avoir été transformés en petit salé par un affreux boucher. Je grimace. Mes zigotos auraient-ils un lien quelconque avec la légende de Saint-Nicolas ? …Mais Peste bubonique ! Voilà que si je fais un pas de plus, je finirai embourbée dans un champ. Demi-tour, camarade.

Par où aller, maintenant ? Je me lance, au hasard, dans les rues toujours désertes. Tiens, par ici, c’est tentant. Vérification faite, c’est surtout une impasse. Revenant sur mes pas, je prends à droite. À gauche. Poursuis au petit bonheur la chance avec l’impression de tourner un peu en rond. Tout en flânant, j’admire quelques jolies maisons à colombages… Une plaque bleue m’apprend soudain que je longe la rue du Pensionnat. Hé hé, peut-être l’indice que je suis enfin sur la bonne voie.

Tout à coup, les voilà !

J’avais oublié la placette. Et l’ancien puits fleuri. L’imposante croix de pierre. À gauche, la jolie façade ornée d’un cadran solaire. La maison jaune, à droite. Mais eux sont bien comme dans mon souvenir : le visage encadré de leurs mains prenant appui sur les briques. D’un côté, une fillette et un garçonnet, un étrange demi-sourire aux lèvres, le regard tourné vers le côté. Que regardent-ils ? Le crucifix ?
À l’autre extrémité du mur, le troisième gamin semble me fixer. Il me tire la langue.

Serait-ce donc là que se tenait ce fameux pensionnat ? Pas sûr : ces enfants semblent un peu jeunes – et surtout trop impertinents – pour lui servir d’emblème. Mon moteur de recherche préféré confirme mon sentiment :
l’ancien établissement, qui n’accueillait d’ailleurs que des jeunes filles, était situé plus en amont de la rue. Malgré mes efforts, le web ne m’apprend rien sur mon petit trio. Pourquoi ne pas, tout bonnement, sonner à cette lourde porte en bois pour me renseigner ? C’est tentant, mais je n’ai pas envie de brusquer des gens qui ne m’ont rien fait à une heure aussi matinale. Et puis, il commence à pleuvoir un peu trop dru. Je relève la capuche de ma veste.

De l’eau glacée est en train de s’infiltrer dans l’une de mes chaussures. Les trois petits marmots de la rue du Pensionnat semblent se moquer de moi. Je leur adresse un clin d’œil. Je reviendrai un jour, histoire d’en apprendre davantage sur leurs drôles de frimousses. Et ce coup-ci, je n’attendrai pas quinze ans.

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