Le 8 mars dernier, nous déjeunions dans un restaurant chic lorsque ma voisine m’a dit que c’est génial d’être une femme, qu’il y a plein d’avantages.
Je ne suis pas très bonne en chiffres, mais par exemple, on a beaucoup moins de risques de mourir sur la route, 8 accidents mortels sur 10 concernent les hommes. Passe-moi les conséquences, et le sel j’ai répondu !
Elle a fait mine de ne rien entendre et elle a poursuivi :
Si on est née dans les années 80, on a au moins une chanson rien que pour nous, Femmes des années 80 de Sardou, un chef-d’œuvre sous-estimé jusqu’au bout des seins et de la misogynie. On peut aussi se faire traiter de pute dans la rue par des types très bien, un braquage de notre féminité puni 0 fois sur 100. Nous sommes aussi très régulièrement invitées à la fermer parce que bon, on n’a pas grand-chose à dire pas vrai ? Mais on ne s’inquiète pas, tout va bien se passer, l’addition c’est pour nous ! Autre avantage, on n’a pas besoin de se battre pour faire entendre notre parole. On parle de nous et de nos combats partout, tout le temps, cool non ? Oui, je préfère tourner les choses en dérision.
Elle a ajouté qu’elle disait ça sans fioriture, ou sans Patrickfioriture pour ceux qui n’aiment pas le chanteur corse. Pourtant, l’autre jour je regardais les Enfoirés, et il était bien Patrick avec ses copains artistes. C’est beau cette solidarité depuis 35 ans pour les Restos du cœur, mais au bout de trois heures de spectacle et de coupures pub, je n’en pouvais plus, j’ai mis le replay de La Grande Librairie. C’était formidable, les gens s’écoutaient, débattaient sans agressivité, l’animateur posait des questions intelligentes, pas façon populiste ambiancé de C8 tu vois, a poursuivi ma voisine.
Je voyais bien. J’avais regardé moi aussi cette émission, car il y avait un auteur que j’aime, Wajdi Mouawad, dont les pièces sont toujours des éléments de réflexions et de partages. La question qui tourmente Mouawad en ce moment est : notre héritage est-il un obstacle à notre empathie ? Il disait que l’on avait semé en lui la graine de la détestation, que notre héritage façonnait nos sensibilités. J’ai compris notre héritage familial, culturel, civilisationnel. Je l’ai souvent écrit ici (et je me suis senti bien seul parfois, où êtes-vous je ne vous entends pas ?), l’empathie, la capacité de comprendre et de partager les émotions d’autrui disparaît de notre époque comme de la rue, les cabines téléphoniques et des océans, les poissons. C’est une qualité qui nous permet pourtant de voir les choses d’un autre point de vue, pas seulement du nôtre, c’est bon pour la santé mentale, ça favorise les relations sociales et professionnelles, donc ça contribue à un monde plus juste.
Le manque d’empathie construit des murs de haine de plus en plus infranchissables. Il arrivera un moment où plus aucun être humain n’aura la capacité de détruire ces murs porteurs de désespoir. Comme ma voisine, je ne suis pas très chiffres, mais à moins que rapido on sème en nous les graines de la remise en question et de l’écoute de l’autre, une étude révélera bientôt qu’un humain sur trois était aussi con que les deux autres.