En commençant ce texte, j’ai repensé à la masse de mouchoirs que je possédais, à la fois ceux de mes grands-parents, de mes parents, ceux qu’on m’a offerts et ceux que j’ai trouvés. L’ensemble remplissait le tiroir d’une commode.
Il y avait les mouchoirs rustiques coupés dans un coton à carreaux robuste. Il y avait ceux en fine batiste entourés d’une dentelle faite à la main, au crochet, ou en frivolité avec une navette. Ces mouchoirs-là provenaient de ma mère et de ses deux sœurs qui, dans leur adolescence, passaient leur dimanche à faire des travaux d’aiguilles.
Pour illustrer cet article, j’ai pensé faire quelques photos de mes mouchoirs, et là, je me suis souvenue que j’avais tout de même fait un ménage dans ce tiroir il y a quelques années. Comme j’ai tendance à tout conserver, je m’étais fait violence pour offrir des mouchoirs. J’avais d’abord essayé auprès des proches qui ont accepté deux ou trois exemplaires. J’ai pu en offrir aussi à un ami qui se servait encore de mouchoirs en tissu. C’est devenu une rareté de trouver encore des personnes exigeant le contact du tissu. Et pourtant, faites le test et vous noterez la différence de confort.
C’est déjà un plaisir de glisser le mouchoir au fond de sa poche, de sentir la présence d’un tissu rassurant, en général doux, car le repassage l’a encore attendri. C’est ensuite un plaisir de sortir ce mouchoir, de le saisir à un angle, de le secouer légèrement pour qu’il s’ouvre, montre ses plis de repassage pour ensuite procurer son bienfait en accueillant un éternuement, en soulageant un rhume, ou bien en recueillant des gouttes de sueur. Sans oublier sa capacité à être le plus doux des buvards pour les larmes. Il n’a rien à voir avec le mouchoir en papier qui très vite s’effiloche et fait des boulettes. Le mouchoir ne fait pas qu’aspirer la sueur, la morve ou les larmes, il apporte aussi une douceur qui installe une bienveillance dans l’instant. Pourquoi se priver de cette onde positive ?
Le mouchoir en papier a détrôné le mouchoir en tissu depuis belle lurette. D’ailleurs, les maisons de mouchoirs réputées, de Cholet ou d’ailleurs, ont, pour la plupart, fait faillite. Car le plus grand inconvénient du mouchoir en tissu, c’est qu’il faut le laver, le sécher et (de préférence) le repasser. Et que, en ces temps de course effrénée, il faut économiser chaque seconde.
En pensant au mouchoir, je vois de suite l’image de mon père qui ne pouvait vivre sans mouchoir dans sa poche. Je repense à l’élégance du geste lorsque, après le mouchage, la main exécute un mouvement rond pour ramener le mouchoir en boule, et le reglisser dans la poche.
Donc, pour cet article, j’ai pensé à faire des photos de mes mouchoirs. Je savais que je n’avais plus la collection entière, mais j’étais sûre que j’en avais gardé quelques-uns. Dans le tiroir de la commode, je n’ai d’abord vu que des gants, et plus un seul mouchoir ! J’ai eu un haut-le-cœur. J’ai ressenti comme une petite catastrophe.
J’ai alors pensé que le mouchoir avait un grand pouvoir. J’ai repensé aux photos, aux scènes de films dans lesquelles, lorsque le train se met en branle, des visages restent penchés hors de la vitre et des mains agitent un mouchoir jusqu’au dernier moment. Il serait difficile de faire ce geste avec un mouchoir en papier. J’ai pensé au pouvoir du mouchoir pour consoler l’enfant qui doit quitter ses parents pour aller vers l’inconnu, vers l’école ou une colonie de vacances. Les mamans souvent ont le réflexe de presser dans la main de leurs petits un mouchoir sur lequel elle vaporise un jet de leur parfum, en espérant que ce tissu et cette odeur sauront suppléer la douleur du manque.
Où trouver des mouchoirs pour joindre des photos à ce texte ? Sous les gants, j’ai vu une boîte de carton dans laquelle j’avais posé le restant de ma collection de mouchoirs. J’ai ressenti du soulagement à ne pas m’en être défaite. J’ai fait ces photos, et les voilà qui, par la magie du journal, se glissent sous votre nez.
L’info en plus
En alsacien, le mouchoir se dit Nastüech (tissu du nez), parfois Rotzlùmpe (chiffon à morve) ou Rotzfàhne (drapeau à morve). De Rotz, identique en allemand, désigne la morve. Il existe un autre mot alsacien pour désigner la morve : le mot Schnùdl.