Le 17 août 1832, nous sommes dans un fourré au bord d’un bras nonchalant du fleuve. Le Rhin paresse au gré des fontes de neige et Victor Hugo me raconte son plaisir de pouvoir enfin admirer ces eaux calmes qui hésitent tant à choisir un chemin. Il me dit que plus loin, passé à une belle largeur, le courant est plus fort.
Victor Hugo prend des notes comme pour écrire à un ami. Il a 30 ans, il vient de terminer « Marion de Lorme », une pièce qui a été interdite. Je lis quelques lignes de sa lettre, quelle grandiloquence, et il fanfaronne, il a déjà vu le port du Rhin en traversant il y a un an le pont de bateaux à Kehl. Il se souvient que la nuit tombait et qu’il éprouvait un certain respect pour le vieux fleuve : « j’aime les fleuves, les fleuves charrient les idées aussi bien que les marchandises ».
Victor veut être en communication, presque en communion, avec cette grande chose de la nature. Et puis à Strasbourg le Rhin a vu naître l’imprimerie. C’est impressionnant !
Il cite tous les grands hommes qui l’ont traversé, Clovis, Charlemagne, Barberousse, Bonaparte. Louis XIV a vu le Rhin, s’extasie-t-il. Cet homme de lettres possède une érudition confondante, il me glisse que l’Alsace stimule son inspiration ! La région appelle à l’humilité, il s’y plait, lui qui veut éviter la monotonie des grandes gloires, si nombreuses le long de ce fleuve providentiel qui descend du pays des aigles à la ville des harengs. Et il me demande de l’accompagner sur un dampfschiff pour contempler des ruines mal famées et croiser quelques spectres de bonne volonté. Ses « lettres à un ami » ne paraîtront que dix années plus tard.
Œuvres complètes de Victor Hugo, Paris, Hetzel, 1884.
Ambroise Perrin