D’Alex on sait peu de choses, si ce n’est qu’on la devine être une ancienne escorte-girl de 22 ans qui a quitté New York, laissant derrière elle des dettes et un homme la harcelant avec ses appels. Le temps du mois d’août, elle trouve refuge chez Simon, un quinquagénaire séduit par sa plastique, qui l’intègre comme un bibelot à sa vie luxueuse. Dans la villa de Long Island, la jeune femme passe ses journées seule devant la télévision ou à la plage, elle vide petit à petit la réserve d’antalgiques de la salle de bains pour étouffer l’angoisse d’un passé menaçant et d’un avenir incertain.
Un soir tout bascule, une attitude discutable aux yeux de Simon jette Alex hors du paradis, comme un nuisible qu’il faudrait éliminer au plus vite risquant de compromettre la tranquillité du paysage. Pourtant, Alex est persuadée qu’il lui suffira d’une semaine pour retrouver sa cote, elle espère retrouver un Simon indulgent, lors de la fête du Travail prévue de longue date. Cinq jours à tenir sans toit et sans argent durant lesquels elle erre, apparaissant et disparaissant au gré de ses besoins, vacillante dans ce numéro d’équilibriste, s’accrochant à toute personne susceptible de lui offrir de quoi patienter pour tromper l’ennui et la solitude. Alex dérive des fêtes dans les villas aux clubs de plage en se faisant passer pour une fêtarde, une amie de la famille ou un chaton sexuel, elle s’incruste comme une invitée surprise que personne n’attendrait. Mais qui est cette fille qui vit comme perchée en équilibre instable au-dessus de ses précipices, écartelée entre ce qui l’entrave et ce qui la hisse ?
Emma Cline nimbe son roman d’une sorte de brouillard entourant Alex, lui conférant un côté insaisissable et dérangeant, presque évanescent. Alex ne semble nulle part à sa place, parasitée par un milieu qui à force de duper les autres finit par la duper elle-même. Le malaise parcourt les pages, entêtant, poisseux et obscène. Ce texte est un troublant roman d’observation. Les mots sont précis, les phrases tranchantes faisant monter la tension crescendo, jusqu’à ce tableau final saisissant de mystère, de cette femme sur le bord, victime des caprices des autres.
Isa sur insta: lodyssee_des_mots