vendredi 22 novembre 2024
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Ce jour-là, j’étais là – Un simple cœur, et obstinée, Michèle Audin

Le 12 juin 1923, je me souviens, c’était à Kolea, faubourg d’Alger, dans les jardins de la mairie. Je vis sortir un couple de mariés, Louis Audin et Alphonsine Fort. Il dit qu’il était employé, garde-forestier. Elle dit qu’elle était sans profession, elle était bonne et femme de chambre. Ils eurent des enfants, et furent peut-être heureux. Mais les enfants mouraient du croup, extrêmement contagieux, une toux comme un hennissement qui obstruait la respiration. Ceux qui survivaient à ce monstre hideux, épervier des ténèbres, purent eux aussi avoir des enfants, qui vaccinés, échappèrent à cette toux qui ressemblait au bruit de ces mécaniques barbares qui font japper les chiens de carton.

Michèle Audin, la petite fille, mathématicienne et écrivaine que l’on croise dans les couloirs de l’Oulipo et au restaurant universitaire de la cité administrative à Strasbourg, a raconté, comme un cœur simple, une vie brève. Celle de son père, Maurice Audin, mathématicien à l’université d’Alger, membre du parti communiste, anticolonialiste, militant pour l’indépendance de l’Algérie, arrêté, torturé et tué par les parachutistes de la 10e division du Général Massu. L’Affaire. La Question.

Elle décrypte les archives de la vie quotidienne de sa famille, par exemple le plan des menus de 1954 prévoyant le marché à 8h les mardis et samedis et s’extasie devant l’album photos à feuilles noires s’exclamant avec un triple point d’exclamation « Michèle a un mois !!! », commentaire à l’encre blanche. Le lundi c’était « cousscouss », mangé avec une fourchette. Dans les disques elle a retrouvé la Petite musique de nuit de Mozart et Pierre et le Loup raconté par Gérard Philippe. Il aimait Paul Eluard et Nazim Hikmet. Ils habitaient rue Gustave-Flaubert.

Comme dans un roman de Modiano, Michèle parle de la vie, et de toutes les traces qui n’ont pas disparu, comme cette carte où l’on peut lire « Hôtel Gerson, Tout confort, 14, rue de la Sorbonne ».

Elle a gardé à Strasbourg les livres de son père, dont les deux qu’il avait empruntés à la bibliothèque de la Faculté d’Alger. Ces livres, avec de petits papiers jaunis coincés dans les pages importantes, n’ont pas été rendus, pour attirer l’attention sur le fait que Maurice Audin n’était pas là pour les rapporter, puisque ce jour-là, on le tuait.

Une vie brève, Michèle Audin, 2013, éd. Gallimard

Ambroise Perrin

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