C’est une histoire de regards que nous livre ici Paul Saint-Bris. Un récit palpitant et remarquablement bien construit nous plongeant au cœur de l’art, auprès de celle dont le sourire nous questionne, nous intrigue, nous submerge, celle qui de son regard transperce les cœurs, même les plus endurcis : la Joconde. Au Louvre, Aurélien, directeur du département des peintures, veille sur elle et sur les autres toiles , parcourant sa vie avec cette idée, transmise depuis l’enfance, d’un esthétisme pur et engagé et effrayé par cette société contemporaine, sacrifiant la beauté sur l’autel de considérations économiques et commerciales. De ces considérations, la présidente du Louvre se fiche bien. Ce qui intéresse Daphné, c’est la rentabilité, quitte à sacrifier les idéaux de ces conservateurs imprégnés du parfum de la naphtaline.
Cette femme énergique et pragmatique parvient à lancer l’idée périlleuse de faire restaurer la Joconde afin de créer un évènement planétaire de renom et de multiplier la fréquentation du musée. Alléger le tableau serait alors l’occasion de redonner une vie nouvelle à Mona Lisa, lui permettant de retrouver la lumière d’une jeunesse sapée par « la marée verdâtre des couches de vernis », et de donner à voir au monde la Madone relookée en faisant le buzz. Débute alors pour Aurélien la lourde tâche de mener cette opération à haut risque sans trébucher, véritable chemin de croix professionnel, venant mettre à mal au travers de cette entreprise ses valeurs professionnelles et intimes. Et puis toucher au sacré, est-ce vraiment une bonne idée ? C’est un livre magnifique à l’écriture exigeante et élégante. Cette plongée au cœur de l’art nous apprend beaucoup sur ce monde de la restauration, sur ce qui s’y joue et s’y transmet, sur la position du restaurateur face à celui de l’artiste, étrange frontière entre ces deux parties. Sur l’allègement du vernis aussi, celui des œuvres, mais aussi celui avec lequel nous ne cessons de recouvrir nos vies et qui à défaut de nous protéger nous oppresse. Peut-être alors parfois faut-il avoir le courage de sortir solvant et scalpel pour redonner la lumière nécessaire à ce qui s’était obscurci.
Isabelle Arnould