La sensibilisation commence dans les écoles. Comment SOS Racisme Alsace intervient-elle ?
On va sur le terrain, comme à Obernai, Schiltigheim, Saverne, Strasbourg, Thann… pour mettre en place le module « Fais reculer les discriminations » qui a un agrément de l’Éducation nationale, et c’est là notre force pour rentrer dans ces établissements scolaires. Cela dure deux heures, s’en suivent des échanges avec les jeunes sur ce qu’est une discrimination. On ne parle pas de politique, ni d’extrême droite, mais de lutte contre les discriminations, l’antisémitisme, le racisme, que c’est contre la loi, on explique le point de vue psychologique, l’aspect émotionnel, les conséquences pour la victime et sa vie future. C’est très intéressant et interactif, à raison d’un ou deux établissements par mois, qui sont démarchés par SOS Racisme Paris ou nous contactent.
Vous-même, vous intervenez ? Quelles sont les réactions des jeunes ?
Je n’interviens pas, nous avons des responsables éducation populaire, juridique, communication, etc. Mais j’ai été en observation et des élèves ont dit « il devrait parler, lui », parce que je suis noir, alors que les deux intervenants étaient non racisés. C’était déstabilisant (rires) ! C’est à la fois intéressant pour les enfants et intrigant pour eux, parce que ce n’est pas commun de parler de ce genre de questions. Le professeur n’intervient pas, c’est important qu’il ne soit pas en contradiction à cause de l’habilitation, nous avons des codes, des limites.

Début octobre, SOS Racisme Alsace a aussi organisé une conférence sur le thème de l’engagement. Une réussite qui appelle d’autres événements ?
Oui, après le succès de celle-là, nous allons faire des conférences tous les trois mois. Les intervenants étaient du monde politique, associatif et des médias, et le public de tous âges, une belle mixité et affluence. Nous organisons aussi des cafés littéraires une à deux fois dans l’année, et des événements culturels et festifs. Je pense à des expositions sur Martin Luther King ou Rosa Park, Aimé Césaire, toutes les figures marquantes de la lutte antiraciste. Le 21 mars qui est la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination sera aussi un rituel qui marque la fin de la semaine d’éducation populaire. Des actions citoyennes aussi comme faire des maraudes, ce sont des idées à mettre en place.
Au niveau national, SOS Racisme pratique les testings, notamment pour l’accès au logement. Qu’en est-il en Alsace ?
C’est une de nos marques de fabrique, et les testings ont une valeur juridique légale. Pour le logement, on vérifie qu’il n’y a pas de discrimination sur les noms : si je donne mon nom à résonance africaine et qu’Anne Dupont par exemple se présente aussi à l’agence immobilière, on verra le traitement des deux. Nos collègues de Metz ont fait un échantillon de 150 agences, et 75% ont pratiqué la discrimination sur l’origine du nom. Nous, on va prendre un panel de 100 à Strasbourg. On peut tester d’autres domaines comme l’emploi, ou les boîtes de nuit, avec trois groupes. En général, le groupe de Blancs entre, pour les Noirs et les Arabes, soit il n’y a plus de place, soit ils ont des tarifs prohibitifs, comme une bouteille de champagne à 150€ au lieu de 50€ dans un testing à Nice…

Chez nous, Miss Alsace a malheureusement reçu des messages haineux via les réseaux sociaux. Quel a été votre rôle ?
Nous avons fait notre travail à SOS Racisme en médiatisant l’affaire Miss Alsace. Nous avons été en première ligne, j’ai fait le communiqué de presse, il a été repris à TF1 et France 2.
SOS racisme est très fière d’avoir fait son travail sur la visibilité, et d’un point de vue judiciaire, notre avocate a trouvé pertinent qu’on puisse engager des procédures. Mais le parquet de Strasbourg s’est dessaisi de l’affaire au profit de Pôle national de lutte contre la haine en ligne. Miss Alsace n’a pas voulu témoigner. Elle nous a remerciés pour le soutien, mais dit que ça lui passe au-dessus, par rapport à sa famille aussi et à Miss France, et tant qu’il n’y a pas de déposition, l’affaire ne va pas plus loin.
Une nouvelle polémique a émergé avec la campagne d’affichage de Strasbourg, ville amie des aînés, et le visage de Nacera, une dame âgée voilée. Où en est-on dans cette affaire ?
Le 30 septembre, notre communiqué de presse a alerté et mis l’accent sur le fait qu’on n’hésitera pas à interpeller publiquement. Mais qui peut faire quoi ? Moi je ne soutiens personne, mon avis, c’est que la « guerre » contre la mairie de Strasbourg ne doit pas justifier ce genre de chose. L’initiative n’était pas politique, c’était juste une campagne prévue pour honorer les aînés.

Votre siège est désormais au 1 rue Sédillot à Strasbourg, ce qui permettra localement d’ouvrir une permanence juridique. Pour qui, pour quoi ?
L’accompagnement juridique consiste en ce qu’une personne victime nous contacte, souvent par message sur les réseaux ou mail, et demande de l’aide. C’est arrivé une bonne douzaine de fois depuis que l’antenne a été réactivée. Et bonne nouvelle, tous les mercredis de 14h à 17h30, une permanence juridique sera tenue à la Maison des syndicats, c’était un de mes rêves ! C’était important symboliquement de l’ouvrir, pour que les victimes puissent venir témoigner entre des mains bienveillantes.
Le chiffre
En 2024, en France, le service statistique ministériel de la sécurité intérieure a enregistré
9 400 crimes et délits à caractère raciste, mais estime que moins de 3 % des personnes victimes réalisent une démarche auprès des services de police ou gendarmerie. À ces crimes et délits en hausse de 11% par rapport à 2023, s’ajoutent près de 7 000 contraventions (+6 %), pour provocations, injures et diffamations majoritairement. Source interieur.gouv.fr

