samedi 23 novembre 2024
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Paradis d’asperges

L’asperge a ceci de curieux qu’elle fait penser à tout sauf à une asperge. Grande tige, trop tôt montée aux airs godiches. Membre viril plus ou moins renflé, de bonne allure et d’heureuse disposition, mais elle a un peu tendance à se monter le bobéchon. 22 cm pour les blanches, certains y voient un avantage.

L’asperge se fait en plusieurs coloris. Grosse verte du Vaucluse, fondante de la tête au pied, violette de Provence, délicieusement fruitée, la rose du Val de Loire toute en finesse et la belle blanche d’Alsace ou d’Argenteuil. Il y a même la sauvage tordue et aigrelette qu’on appelle en Provence, la balayette. Chacun vit sur une idée de l’asperge et en reste là. L’asperge à tête de serpent dont parle Jules Renard fait aussitôt penser à la zoologie fantastique de Borgès. Voilà qui est étrange : une tête de vipère et des écailles triangulaires et des griffes souterraines. Est-ce bien encore un légume ou un barbarisme végétal, peut-être même une bête endormie ?

On n’épluche pas l’asperge

Épluche-t-on les monstres ? Non on la plume comme l’oie ou la poule. Chez Proust, c’est même une pauvre créature maladive qui s’en charge. Swann parle de la pauvre créature de Giotto. Son air était douloureux. On part du dessous de la tête et on laisse courir l’économe jusqu’au bout que l’on sectionne d’un coup. C’est ce que Marie Rouanet appelle « tailler l’asperge comme un crayon », et même quand elle a durci, « écorcer l’asperge ».

Comme on le sait, les asperges se mangent avec les doigts. Grimod de la Reynière est formel, on la sert avec les mains et ce serait un manque de savoir-vivre d’y employer la cuillère. Courtine, lui aussi, revendique avec force le droit de manger son asperge à la main. Ne la traitons pas comme la carotte ou l’andouillette. Osons manger les asperges avec nos doigts, mais reconnaissants, caressants, frémissants ! Nos doigts respectueux ambassadeurs de notre âme. Nos doigts courtisans et l’asperge veut être courtisée, c’est qu’elle est fort méritante. « Ne faites pas aller et venir une asperge dans votre bouche en regardant languissamment le jeune homme que vous voulez séduire », recommande opportunément Pierre Louys dans son manuel de civilités pour les jeunes filles dans les années 30.

Proust, qui était assez tourmenté par l’asperge alors que le petit pois le laissait froid, observe que les nuits après en avoir mangé, elles jouaient dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare à changer le pot de chambre en vase de parfum ! Dans Biffures, Michel Leiris parle de l’époque où, enfant, les mots lui semblaient calqués sur la physionomie des choses. C’est ainsi que pour lui, le mot paradis devait sa saveur à l’asperge du paradis terrestre, une sorte de potager sentant bon le terreau et à la forme extérieure en botte ressemblant aux tuyaux d’orgue. C’est une perspective inattendue de l’asperge qui n’a pas toujours, il faut bien le dire, donné l’occasion de pensées si élevées.

Issu des lectures de Jean Luc Henning. Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes, chez Albin Michel.

Bernard Kuentz

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