On ne perd jamais une occasion de se cultiver. C’est ce que me disait un ancien l’autre jour. Le vieil homme et l’amer ne faisaient pas l’avare. Il avait beau me raconter quelques fables, je voyais son portefeuille — le rouge et le noir, pas le marron — se réduire comme peau de chagrin. En sirotant quelques alcools, il me racontait les malheurs de Sophie — sa nièce. Des rencontres inopportunes, des liaisons dangereuses avec une véritable bête humaine. J’avais à faire, mais je me voyais mal faire le malade imaginaire pour me remettre sur la route.
Après ces déboires, il m’a raconté son tour du monde en 80 jours, plus ou moins. Il n’est certes pas allé au centre de la Terre, mais il a visité quelque terre du milieu. Vers Clermont-Ferrand. Il y a vu l’un ou l’autre misérable m’a-t-il dit. « Et pas de petit prince ? » lui demandais-je. « Si, un étranger. »
Il avait fait fortune dans les fonds marins, pas loin de vingt mille lieux sous les mers. L’homme faisait la fierté et la gloire de son père. D’après la légende, il aurait été emporté par la peste.
Sur son 31
« Et le sport, vous aimez ça le sport ? » — « Vous savez, j’ai l’âge pour avoir connu les Mousquetaires ! » Et en ricochet, je m’enquerrais de savoir s’il avait voyagé au bout de la nuit pour voir certaines idoles. « J’ai pu le faire, mais c’est fini. Aujourd’hui, je cherche le temps perdu ! » C’est sûr qu’en cent ans de solitude, mon nouvel ami a eu le temps d’être déçu par les promesses de l’aube.
Avec le temps, l’Odyssée de la vie s’apparente à une divine comédie. D’orgueil en préjugés, de crimes en châtiments, on finit par comprendre que, quoi qu’il arrive, le soleil se lève aussi.
« Et les livres, vous aimez ça les livres ? » — « Un peu », me répondit-il en souriant. J’en profitais pour lui rappeler la Grande Lecture à Strasbourg, jusqu’au 28 avril. « Je sais », dit-il en souriant. « Et votre nom, c’est quoi ? » – « Appelez-moi Ulysse. »