Val Bavona est la partie la plus abrupte du Tessin, avec des hameaux qui sont autant d’odes aux roches. Ils sont désertés l’hiver, parfois même quittés pour toujours par les habitants, comme à La Prèsa, village fui il y a quatre cents ans.
Cette vallée, la plus rocailleuse de tout l’arc alpin, part de la Valle Maggia. Elle n’est habitée qu’en été, car elle est sans électricité et sa rudesse pousse les habitants à partir sitôt les froids venus. L’homme, depuis la Préhistoire, s’y est battu contre la nature. Il a travaillé avec acharnement, installant des maisons, des étables et des refuges contre les rochers, ou sous les rocs, pour économiser au maximum les quelques terres herbues susceptibles de nourrir les chèvres ou devenir potagères. Dans cette région pierreuse faite de ravins, d’éboulements, tout n’est pourtant qu’harmonie. La paix y est souveraine.
Douze hameaux composent la vallée. Ils font passer de Cavergno à San Carlo, par Foroglio et sa cascade. Même vidés de leurs habitants, la main de l’homme est partout présente dans ces hameaux, qui attestent de l’énergie et de l’inventivité de l’humain pour se mesurer à la morphologie de la géologie et s’adapter aux roches récalcitrantes. Les explosifs n’existaient pas pour faire sauter les rochers, donc on s’en est rendu complice dès l’aube de l’humanité.
Dans le village de Sonlerto, les habitations ont été construites parmi les pierres des éboulis préhistoriques. Ici on s’éclaire à la bougie et on se chauffe au bois. On devine, de-ci de-là, de très discrets panneaux photovoltaïques qu’alimente l’énergie d’un soleil réduit par l’encaissement de la vallée. La biodiversité doit rester protégée. San Carlo, le dernier village du Val Bavona, le seul village qui a de l’électricité, est aussi le point de départ du funiculaire qui monte à Robiei sous le glacier du Basodino.
Là, à San Carlo, mes pas m’ont menée, par la forêt, vers un village en ruines, nommé La Prèsa. Ses habitants l’ont fui il y a 400 ans, devant la crainte d’un glissement de terrain. Au XVIe siècle, des éboulements ont emporté dans cette vallée une partie du territoire, ils ont fait déborder la rivière qui a occupé les terres cultivables. L’espoir perdu a mené à l’exode. Ici, à La Prèsa, le terrain n’a finalement pas glissé, le village est toujours là qui atteste de la vie qui fut. C’est émouvant d’entrer dans ses ruines, dans la chapelle, dans ses maisons, d’imaginer les mains qui ont charrié tous ces blocs de pierre. On s’imagine le village résonnant encore de cris d’enfants, de vie, avec de la fumée s’échappant des toits en granit. On imagine le bruit de châtaignes tombant en automne, on regarde l’herbe rare et on imagine les chèvres la brouter et leur lait donner des fromages.
Je viens d’un village d’Alsace, adossé aux contreforts des Vosges, où les rochers sont nombreux. Ils sont en grès rose et des grottes sont disséminées dans la région du Brotschberg où l’homme trouvait refuge dès le néolithique, et qui conserve intact un habitat datant de la fin de l’Âge du bronze et du début de l’Âge du fer.
Je me suis souvent imaginée vivre dans une maison troglodyte, comme celles vues à La Prèsa, comme celles qui existent aussi en Alsace, à Graufthal, à la lisière de l’Alsace Bossue. Se réveiller en voyant un rocher comme mur de la chambre, cela relie d’emblée à la vie rupestre. Je me souviens d’un tel dépaysement vécu lors de quelques nuitées dans les Pyrénées.
En me promenant à La Prèsa, ce village oublié du Tessin, j’ai ressenti une forte présence de vie, dans un lieu pourtant déserté. Le croirez-vous ? J’eus l’impression de toucher subrepticement un monde disparu, comme si soudain j’étais propulsée dans « la terre du milieu » que dépeint l’écrivain Tolkien dans ses Contes de la terre perdue.
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