Ce qui vous caractérise c’est l’attachement à la fonction de maire. Votre première élection en 1995 est toujours votre plus grande fierté ?
Oui, j’avais 30 ans, j’étais arrivé quatre ans et demi auparavant et je connaissais deux personnes à Molsheim. C’était une joie immense, parce que j’ai toujours rêvé d’être maire. C’est un travail tellement dur où l’on investit tant, une vie difficile où l’on peut se faire congédier avec beaucoup de brutalité, mais le mandat de maire est une perle de la république.
Une petite lumière s’allume dans vos yeux lorsque vous en parlez, alors commençons par l’économie, l’une de vos priorités !
Nous avons, sur le bassin Molsheim/Obernai un taux de chômage de 3,6 %, l’un des taux de chômage le plus faibles de France et le plein-emploi. Sur la ville de Molsheim, il y a plus de salariés que d’habitants, plus de 10 000, c’est une chance extraordinaire. Nous avons fait, depuis de nombreuses années, un gros travail pour développer de nouvelles zones d’activités, et il y a d’autres éléments très importants, la qualité de la main-d’œuvre et puis, le développement économique est souvent basé sur la présence de cadres dirigeants avec lesquels nous arrivons à créer de belles relations et qui partagent un attachement au territoire. En économie, rien n’est acquis. Nous devons travailler chaque jour, pour régénérer, dynamiser, rénover le tissu économique. L’une des valeurs que je respecte le plus, c’est le travail, et ceux qui sont capables de bosser, de faire avancer les choses. Je pense que c’est ce qui fait le plus défaut dans notre société.
Comment le maire que vous êtes se sent-il dans l’époque ?
J’ai la chance d’être maire depuis longtemps, je suis parti et je suis revenu, j’ai fait le choix d’être maire et j’ai le sentiment d’être profondément utile. Ce qui est désormais un peu fatigant, ce sont les réactions, le commentaire brutal et instinctif d’une fraction de la population à la moindre contrariété. La deuxième chose, c’est l’addition délirante de réglementations, des procédures qui nous épuisent et qui ruinent les finances de nos communes, de l’État et de la société en général. Alors, est-ce que je suis un optimiste ? Clairement, non ! Je n’arrête pas de parler d’un sujet qui me préoccupe : la dette publique. 3000 milliards, 45 000 € par français, des déficits abyssaux dont personne ne parle. Avec l’augmentation des taux d’intérêt, c’est tout l’édifice qui risque de s’écrouler, et l’on finira bien par payer le prix de nos inconséquences.
Vous visez la politique du Gouvernement ?
Je vise ceux qui sont inconséquents depuis 40 ans dans la gestion publique, mais il est vrai que la gestion actuelle est pour moi totalement incompréhensible. Je pense que nous souffrirons beaucoup plus de la charge de la dette que des problématiques climatiques, qui sont bien évidemment une réalité très profonde. Lorsque les intérêts de la dette seront le premier budget de l’État, on fera quoi ?
À Molsheim, que faites-vous justement ?
Molsheim n’est pas la ville la plus flamboyante, mais nous essayons de progresser en permanence, de développer l’économie, de rénover les voiries, de nous doter d’équipements publics, de créer des espaces verts, de planter des arbres. Je ne supporte pas les gens qui pilotent en disant « après moi le déluge ». Je suis très respectueux du bien public. La Ville de Molsheim n’a aucune dette. La question fondamentale n’est pas d’être, ou de durer, mais de faire.
Quel est votre plus vieux souvenir de politique, ou d’engagement politique ?
C’est très rigolo, parce que je suis né dans une famille de gauche, alors c’est 1981 et l’élection de François Mitterrand, j’avais 16 ans. J’étais fou de joie. Je me souviens de ce visage électronique qui s’affiche à 20 heures. Aujourd’hui, je suis Président des Républicains, ce qui veut dire que l’on peut évoluer sereinement, c’est la beauté de la démocratie.
Et la gauche ?
Ils ont oublié une chose importante : créer la richesse est essentiel avant d’avoir des idées pour la dépenser. Il ne peut pas y avoir de solidarité et de réussite sociale sans réussite économique. Si l’on veut un système de retraite généreux, des hôpitaux qui fonctionnent, il faut de l’argent pour les financer. Ce qui m’a choqué, c’est le manque de considération pour l’argent public. Il y a une chose qui me désespère, c’est que l’on n’évalue jamais les politiques publiques, on décide, on fait, mais on ne revient jamais dessus, et derrière, on trouve des catastrophes.
Je suis tombé sur un portrait chinois de vous qui date de 2014. Par exemple, si vous étiez un film, vous seriez Les grandes gueules avec Bourvil et Ventura !
J’adore les films où s’exprime la tendresse dans les relations humaines.
Si vous étiez un livre ? vous avez répondu Les bienveillantes de Jonathan Littell.
C’est un livre incroyable. À la fin, l’armée russe avance sur Berlin, tout s’effondre et la technocratie nazie continue à se chamailler pour des médailles, pour des questions de forme. J’ai appris une chose avec ce livre, quelque chose qui m’a profondément marqué, c’est qu’une technocratie dirigeante ne se voit pas mourir.
Vous lisez beaucoup ?
Je travaille énormément, je ne sais faire que cela, mais j’achète beaucoup de livres. J’ai une théorie stupide : à la retraite je lirai les 1000 ou 2000 livres que je n’ai pas encore lus. Pour répondre à votre question, lors de mes 15 jours de vacances d’été, je lis 8 à 10 livres sans problème. Surtout des essais.
Vous admirez Nelson Mandela, pourquoi ?
Je suis allé dans la cellule à Robben Island au large du Cap où il a été enfermé pendant 22 ans. Cette capacité à ne céder sur rien, c’est admirable. Cette capacité d’imaginer qu’au-delà de tout, un jour, dans la nuit noire, il y aura une étincelle, ne jamais perdre espoir, c’est incroyable. J’ai aussi été bouleversé par le film Invictus de Clint Eastwood.
Dans le questionnaire de Proust, il y a cette question : si Dieu existe qu’aimeriez-vous, après votre mort, l’entendre vous dire ?
Je suis heureux de te voir.
Parce que vous êtes croyant ?
Oui. Les cartésiens que nous tentons d’être ne sauront pas répondre à cette question essentielle : ou commence et ou finit l’univers ? La notion de l’infini des espaces physiques et des espaces temps est complètement irrationnelle, inacceptable et incompréhensible pour nous. Alors, il y a deux choses qui me paraissent assez crédibles, c’est qu’il existe peut-être d’autres planètes avec des formes de vie, et l’existence de Dieu. Tout cela n’est peut-être pas le fruit d’un hasard. Et, quitte à croire que Dieu existe, être dans la tradition des anciens chrétiens ne me semble pas irrationnel. Maintenant, je ne suis pas obligé de croire tout ce que l’Église a construit en vingt siècles d’histoire. Finalement, je modifie ma réponse : si Dieu existe, j’aimerais qu’il me dise : « bienvenue en Alsace ». Et, s’il ajoute « tu sais, je suis Alsacien », alors là, c’est le nirvana.
L’info en plus
À partir de cet été, tout le centre-ville, le cœur historique de la ville de Molsheim sera limité à 30 km/h, avec des contresens en pistes cyclables.
Propos recueillis et rédigés par Éric Genetet