Maxi Flash : Vos premières scènes remontent aux années 80. À quoi ressemblaient vos débuts ?
Jean-Pierre Albrecht : J’écrivais quelques chansons alsaciennes. Dans ces années-là, j’ai vite formé un groupe. J’étais accompagné par un clarinettiste, une flûtiste et un bassiste. De mon côté, je jouais de la guitare. Je pense que c’était ma timidité qui faisait que je craignais d’aller seul sur scène. C’était un bon démarrage et ça m’a donné le courage de continuer à écrire. Je menais de front la musique et mon poste de comptable à l’Équipement de Strasbourg. Mais c’est le premier qui a primé par la suite.
En 1982, le festival de Schiltigheim, auquel vous participez avec votre groupe de l’époque, est une étape importante de votre vie…
Oui, j’y ai fait beaucoup de rencontres importantes pour la suite de ma vie. Notamment René Egles, que je considère comme mon parrain de la chanson alsacienne, Roger Siffer, qui m’a ouvert les portes de la Choucrouterie, et surtout de Henry Mertz. C’est ce dernier qui m’a appris à écrire. Je me souviens qu’un jour il m’a même dit : « J’aime bien ce que vous écrivez, mais ça ne vaut pas un clou ». Il m’a fait découvrir l’accent tonique et ça m’a beaucoup aidé. Grâce à lui, j’ai gagné quelques années et ça m’a fait évoluer. J’ai aussi transmis ce savoir à d’autres artistes.
Vous quittez votre travail et décidez de vivre de la musique. Pourquoi cette décision radicale ?
La comptabilité, ce n’était pas pour moi. Il fallait que je fasse autre chose. Au début, je ne savais même pas que le statut d’intermittent du spectacle existait. En deux ans, mes économies avaient fondu comme beurre au soleil. C’est à ce moment que je me suis musicalement construit. La chanson alsacienne, même si ça fonctionnait, ça ne suffisait pas.
Mais vous avez d’autres cordes à votre arc !
Comme je possède différents instruments anciens, je me suis lancé dans la musique médiévale, voire médiévalisante. J’allais beaucoup sur des sites de ruines ou de châteaux, avec la troupe de la Passe Pierre. Il m’est aussi arrivé de faire des dîners-spectacles médiévaux, notamment à Kutzenhausen, à Riquewihr et partout dans la région. C’est à cette période que j’ai commencé à travailler avec le metteur en scène Patrick Barbelin. J’ai aussi travaillé avec des comédiens amateurs en Alsace Bossue, à la Heidenkirche. C’est une des plus belles expériences de ma vie. Tous étaient encadrés par cinq professionnels : une cantatrice, un metteur en scène – Patrick Barbelin -, un ou deux régisseurs, et moi. J’écrivais les chansons spécialement pour le spectacle.
Anne-Marie Lopez del Rio, une conteuse, va vous faire découvrir un nouvel univers…
Effectivement. Au départ, je l’accompagnais au clavier. Un jour, elle m’a dit que la bibliothèque de Strasbourg était à la recherche d’un conteur bilingue. Elle leur a donné mon nom sans me consulter. Elle savait que je lisais déjà des contes à la radio donc, selon elle, j’étais le candidat parfait. Pendant trois ans, tous les jeudis, je passais à l’antenne sur Radio 67. Lors de la première à la bibliothèque, j’avais une trouille bleue. Je ne savais pas dans quoi je mettais les pieds. J’ai parlé pendant une heure. À la fin, Anne-Marie m’a dit que les enfants avaient été complètement absorbés par l’histoire. J’ai adoré cet exercice et je l’adore toujours. Chez moi, les contes sont toujours centrés sur la région, même s’ils sont universels. Je les revisite régionalement. Pendant la récitation, le temps s’arrête. C’est une parenthèse entre les spectateurs et moi. Je suis quelqu’un de jovial, j’ai des instruments de musique, donc ça permet d’aérer la prestation. Raconter un conte pendant une heure, ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut réussir à captiver le public sur la durée, c’est très difficile. Un autre axe de ma vie a été les spectacles pour enfants et la transmission. J’étais souvent engagé par le festival Summerlied pour monter des spectacles dans les écoles. À la fin de l’année, les enfants montaient sur la scène du festival pour présenter ce qu’ils avaient appris.
Dans vos musiques, vous parlez de « choses basiques » et employez le dialecte. Est-ce une association importante pour vous ?
Oui, je parle de l’amour, de la vie et de la douleur. Je suis un romantique. J’écris beaucoup de ballades. C’est un thème qui plaît bien. Cookie Dingler m’a même dit que je savais bien le faire. En ce qui concerne le dialecte, c’est revenu après l’adolescence. Mon père, un Lorrain, utilisait des formulations lorraines. Ma mère, une Alsacienne de la campagne, parlait l’alsacien. Il m’arrivait de mélanger les deux, de devoir faire le ménage entre les mots. Je me suis appliqué à écrire dans le dialecte parce que ça me tenait à cœur. J’ai même eu la chance d’avoir le Bretzel d’Or de la chanson alsacienne en 1993.
Quelle est votre actualité ?
Je vais prochainement jouer dans un spectacle pour enfants à la Choucrouterie. Je serai aussi de passage au musée de Bouxwiller. Je n’ai rien de plus à annoncer, mais je pense qu’il y aura encore des événements dans les bibliothèques ou les écoles. Maintenant, je suis retraité. Mais l’art s’arrêtera le jour où l’artiste n’aura plus envie ou ne pourra plus. Me concernant, j’ai encore des idées de création, mais je prends mon temps.
Propos recueillis et rédigés par Léo Doré