jeudi 21 novembre 2024
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Simone – J’aime la pomme de pin

A-t-on idée d’appeler « pomme » ce cône en bois si finement ciselé, que l’on retrouve en cette saison au sol, rogné par les animaux, et qui est comme un baromètre ? Elle s’ouvre et se ferme selon le degré d’humidité et éveille en moi une ribambelle de souvenirs.

Mon père, sculpteur sur bois, disait que la nature savait faire spontanément ce qu’un artiste mettait une éternité à réaliser. Créer par la sculpture une pomme de pin, avec les détails si justes que lui donne la nature, apparaît comme une mission hasardeuse.

La pomme de pin me rappelle l’hiver et les feux qui s’allument aisément dans l’âtre avec elle et un peu de papier journal. Elle crépite et fait chanter les flammes. Elle me rappelle aussi l’été et les grandes vacances. Nous avions comme mission, généralement après la distribution du 14 Juillet Wecke, cette brioche offerte à chaque enfant pour fêter la prise de la Bastille, à ramasser des pommes de pin pour l’institutrice.

Nous en ramassions chaque année pour elle, afin qu’elle puisse allumer aisément en hiver les fourneaux de l’école et de son logement. Nous agissions donc en juillet, lorsque les pommes de pin jonchaient le sol, bien sèches, craquantes de soleil. Je connaissais les lieux où poussent les pins. À force de m’y promener, je les avais mémorisés d’instinct. L’endroit que je préférais se situe vers le Hexentisch, la table des sorcières.

Pommes de pin d’épicea. / ©S.Morgenthaler

Il fait bon être sous un pin en été : ses aiguilles composent un tapis moelleux sous la plante de pied. Ramasser des pommes de pin est réconfortant pour l’enfant : les sacs se remplissent vite. Rien à voir avec la cueillette de myrtilles, fastidieuse, désespérante tant elle exige de la patience. Les pommes de pin, elles, sont gratifiantes. En moins de deux, un sac était rempli. C’étaient des sacs en toile de jute et je trouvais que cette texture allait bien à la pomme de pin : nature comme elle, un peu rêche aussi. La pomme de pin se logeait dans le sac et ouvrait en cela la voie aux pommes de terre qui prenaient le relais à l’automne.

Lorsque chaque écolier avait rempli un sac, nous les portions à l’école. C’était exaltant d’y aller sans avoir à entrer dans la salle de classe. Nous montions au grenier de l’école, ce qui en soi représentait un événement : nous avions le droit de passer près du logement de fonction de mademoiselle Jérôme et de grimper encore plus haut, sous le toit que juillet terrassait.

Forlebibble. Nous aimions prononcer le mot alsacien pour la pomme de pin : il contient du rythme, de la joyeuseté, de l’amusement. Et nous le répétions pour nous en enivrer.

Le pin sylvestre, dont vient la pomme, est désigné en alsacien sous différents termes : Forle, Fohre, Fichttann. Les Allemands le désignent sous le terme Föhre Kiefer. Il se nomme Pinus sylvestris en latin.

Un décor simple et rustique vu à Praz-sur-Arly (Haute-Savoie). / ©S.Morgenthaler

Les aiguilles de pin avaient aussi mes faveurs. Enfant, j’aimais les amasser en tas et les faire tomber en pluie de mes mains. Elles sont bleu-vert, groupées par deux et elles me servaient à fabriquer des couronnes avec des feuilles de châtaignier. Je les utilisais comme des aiguilles, pour les relier entre elles et faire tenir sommairement les feuilles de châtaignier. La couronne servait à nous couronner : nous devenions les rois et les reines d’un jeudi (qui était en ce temps-là le jour sans école).

Les pommes de pin permettent aussi de multiples décos. Pour Noël, il m’arrive de glisser des grains de blé dans leurs écailles entr’ouvertes et de les poser sur une assiette humidifiée. Les graines lèvent, hérissent les écailles de touffes vertes, inattendues et bienvenues au cœur de l’hiver.

Lorsque je me promène en forêt en cette saison, je trouve des pommes de pin rongées qui me rappellent qu’un animal est passé par là et s’est nourri. Les écureuils, avec d’autres animaux, aiment ronger les pommes de pin et se nourrir de leurs écailles, laissant au sol des trognons de cônes.

Vous l’aurez compris : la pomme de pin me donne beaucoup de joie. Je le lui ai souvent dit. Il fallait bien que je le lui écrive un jour.

Simone Morgenthaler ©Hugo Cappa
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