jeudi 21 novembre 2024
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Révolution mondiale au Val de Villé

On répète depuis le Moyen-Âge que le Val de Villé est la plus belle des vallées. Mais sait-on que ce fut aussi un foyer de féroces révolutionnaires ? En 1918, proclamation de la « République » à Strasbourg, un Conseil insurrectionnel d’ouvriers et de soldats fait flotter le drapeau rouge sur la Cathédrale ; autonomie, autodétermination, communisme…

D’autres Conseils révolutionnaires à Molsheim, Erstein, Mutzig, Neuf-Brisach, Ribeauvillé, Saint-Louis, Bischwiller et à Schiltigheim rassemblent la population et les soldats pour maintenir l’ordre. La liberté de la presse est proclamée. Les troupes allemandes se retirent, l’armée française est accueillie triomphalement, l’Alsace retourne à la France, un éblouissement tricolore, et les Alsaciens allemands de souche jouent de stratagèmes pour ne pas être expulsés, comme à Obernai le Statthalter proposant d’épouser une « vraie » Alsacienne, même plus âgée que lui, pour pouvoir rester. Au Val de Villé, des artistes ayant pour modèles les expressionnistes berlinois rêvent d’être pacifistes, ce sont les survivants d’une génération qui a été fauchée par les balles et les obus. Après cette hécatombe il était difficile en 1918 de croire encore dans l’humanité et de transformer le monde par des chansons. La guerre avait laissé dans les esprits peu de choses intactes. Nombre de ces artistes alsaciens avaient combattu pour le Kaiser. Même sans réelle conscience politique, ceux qui avaient survécu et étaient devenus Français proclamèrent vouloir « esthétiser la vie » en réponse à la « mort de Dieu ».

Un demi-siècle plus tard, il y avait toujours dans le Val de Villé un village d’irréductibles, sorte de Gaulois alsaciens qui avaient le kirsch pour potion magique et qui affirmaient que « les pensées sont libres ». Leur barde, un anticonformiste, c’est bien sûr Roger Siffer. En mai 68, il est étudiant en philo, il fréquente la Galia et la librairie bazar coopérative et lit Uss’m Follik. Il préconise l’indépendance de l’Alsace, au sein de laquelle le Val de Villé aura un statut particulier avec autonomie du village et « souveraineté dissociée » de chaque côté de la rue principale. Le révolutionnaire n’a qu’un slogan : « quand j’entends le mot choucroute, je sors ma fourchette ».

À Paris ce coin d’Alsace effraye et un autre Roger, Gicquel, le présentateur de TF1, annonce: « la France de l’intérieur a peur ». Les révoltés complotent dans l’église Sainte Materne sous prétexte de jouer de l’orgue, qui d’ailleurs y est magnifique, un joyau du XIXe siècle. Dans une géniale inspiration, Siffer décide de sortir d’Alsace faire un voyage de quelques jours à New York à l’ONU puis à Paris à l’UNESCO pour plaider une cause, l’inscription du Val de Villé au patrimoine mondial de l’humanité. Il revient triomphant et le Val de Villé est nommé « plus belle mondiale des Vallées ».

Ambroise Perrin

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