jeudi 25 avril 2024
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Ghislaine du Teilleul – Les riches souvenirs d’une poétesse

Fille d’officier, descendante d’une famille de troubadours, poétesse, châtelaine, gestionnaire d’un ranch, jardinière... la vie de Ghislaine du Teilleul ne peut pas se résumer en quelques mots. C’est un gigantesque conte de fées dans lequel la princesse avait l’emploi du temps d’un ministre. Mais aujourd’hui, l’artiste profite de sa douce retraite dans une chaleureuse et coquette maison à Zellwiller.

Vous êtes depuis plusieurs années bien installée dans votre petit cocon alsacien, mais parlez-nous de l’avant, votre quotidien était bien différent…
J’ai passé mes jeunes années en Autriche juste après la guerre, nous naviguions entre les châteaux pendant les vacances. Mon père était un officier supérieur et ma mère issue d’une belle famille. Je suis hantée par les montagnes de ce pays, c’était un paradis inoubliable qui a fait naître chez moi une passion pour les jardins. Maman avait dit que le retour en France serait compliqué et elle avait bien raison. Tous les décors qui m’entouraient à l’époque me suivent encore aujourd’hui et m’inspirent. Enfant, quand il y avait des photos de famille, je ne regardais jamais l’objectif, j’avais constamment les yeux dans un songe, la moindre chose m’enchante, une tourterelle se pose sur le balcon et je m’envole à mon tour.

Cette faste époque vous manque-t-elle ?
Disons que c’était une étape de mon histoire, il y a de quoi rêver, mais je suis toujours restée très simple et surtout pas snob ! Mes amis me disent souvent « tu as fait tellement de trucs dans la vie » ! J’ai justement l’impression d’avoir vécu plusieurs vies. Tout a été si riche. Après l’Autriche j’ai habité Paris, de folles années où j’ai beaucoup voyagé entre l’Espagne et l’Italie, où j’ai surtout éperdument adoré un Italien descendant de Pline le Jeune, rien que ça ! Giuseppe, l’amour de mes vingt ans, je l’ai rencontré lors d’une escapade à Amalfi en compagnie d’une amie, Marie-Françoise Dutronc.

J’étais passionnée par un ensemble : le soleil, la mer, les rochers et au milieu du paysage, un homme. Je l’ai pleuré pendant un an à mon retour à Paris, il m’envoyait des cartes, mais c’était un amour impossible, d’ailleurs quand j’entends parler italien j’en ai encore les larmes aux yeux. Ma famille m’a finalement présenté mon mari, Michel, ils voulaient me voir épouser quelqu’un de mon milieu. Ce n’était pas un mariage d’amour, j’avais toujours cet Italien en tête, mais je ne dirai jamais que c’était un mariage de raison, le mot est trop dur, disons que c’était une union de tradition. Lui était très attaché à moi, je n’ai jamais retrouvé cette passion de l’Italie, mais j’avais un profond respect ainsi que de la fascination pour mon époux.

À ses côtés, vous avez aussi eu l’occasion de beaucoup voyager !
Nous avons passé nos premières années en Afrique du Nord, il avait un job dans l’import-export et il faisait de la politique à Alger. En parallèle, il était champion de cavalerie, j’avais épousé un personnage ! Mais comme beaucoup d’Européens, nous avons été expulsés du territoire dans les années de la révolution. C’est alors que la vie de château m’a retrouvée, nous avons habité pendant quarante ans le domaine de sa famille, les Landsberg, à Niedernai, c’était à la fois formidable et éreintant.

Mon mari avait tant d’imagination, c’était un créateur. Comme il avait fait l’école de cavalerie à Saumur, il a décidé d’ouvrir un ranch, nous nous occupions d’une quarantaine de chevaux ! Des cavaliers venaient du monde entier, nous faisions même de l’élevage, ça mettait une ambiance, et le parfum du foin et de la paille m’a profondément marqué. Mais pour mon Michel, ce n’était toujours pas assez, donc nous avons ouvert un salon de thé puis un restaurant, toujours au château. Nous organisions aussi des cérémonies sur notre terrain, j’ai la folie des roses alors notre jardin était grandiose. D’ailleurs, un de mes romans s’appelle Les roses écarlates, j’étais toute la journée avec mon sécateur à prendre soin de mes plantes !

Au milieu de toute cette effervescence, vous avez trouvé le temps de vous occuper de vos enfants, mais aussi d’écrire !
Oui, c’est une des passions qui m’animent, j’ai toujours lu, toujours écrit, et eu en horreur les mathématiques ! La nuit au château, pendant que tout le monde dormait, je m’isolais au salon et je rédigeais jusqu’à ce que la fatigue l’emporte. J’ai écrit plusieurs livres de poésie à cette époque : Infinitude, L’appartenance, Les roses écarlates, Le silence des étoiles et bien plus tard, La plage des adieux.

Les titres de vos deux derniers ouvrages dégagent beaucoup de nostalgie !
Pour écrire, il faut avoir des rêves, être amoureuse de la beauté, mais aussi avoir beaucoup ri et souffert, l’un ne va pas sans l’autre. J’ai cette capacité à l’émerveillement, mais j’ai aussi traversé des étapes atrocement douloureuses. Notamment la perte de mon petit Bertrand, quelques heures à peine après sa naissance, nous étions encore à l’hôpital civil à Strasbourg… J’ai aussi pleuré mon mari, je suis veuve depuis 14 ans. Quant à mon dernier ouvrage, il s’agit d’une pensée pour mon Italien. Mais je ne suis pas la femme qui va rester sangloter toute la journée, la vie est trop belle, et trop courte, l’essentiel c’est la jeunesse de cœur.

L’époque des ballots de paille est derrière vous, mais ce n’est pas pour autant que vous ralentissez, n’est-ce pas ?
Je suis toujours animée par ma passion de l’écriture, des fleurs, des gens… J’ai joué du piano pendant des années, si j’avais eu une existence de plus, j’aurais fait le conservatoire, mais je ne pouvais pas être partout ! Cependant, dès que je le peux, j’unis la prose et la musique dans ma maison en invitant, dans une atmosphère d’extrême simplicité et de bienveillance, des écrivains de la région, des poètes, des philosophes, des essayistes et des musiciens ! D’ailleurs en ce moment, je recherche un violoncelliste et un guitariste pour accompagner nos modestes âmes à ces soirées alors si le cœur vous en dit, n’hésitez pas ! Qu’ils soient jeunes novices ou séniors, il y a une vraie diversité que j’adore ! Pour participer, il faut être sensible à la beauté. Ensemble, nous passons un long moment à lire, à découvrir et profiter des mélodies pour changer du quotidien, on boit un petit coup de vin et c’est reparti ! Pour moi, c’est une parenthèse enchantée, un instant de douceur, la vie est tellement triste dehors.

Propos recueillis et rédigés par Lucie d’Agosto Dalibot

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