vendredi 18 octobre 2024
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Une rue en Alsace – Le bourreau (des cœurs?) de Molsheim

J’adore flâner dans les jolies communes alsaciennes. C’est pour ça que l’autre jour, j’ai décidé de profiter du beau temps pour faire un tour à Molsheim.

Une énorme gaufre sauce chocolat à la main, me voilà lancée à la recherche du petit détail saugrenu qui réjouira mon cœur autant que mon stylo. Car j’ai une vraie tendresse pour le trompe-l’œil inattendu, l’oriel improbable, la statuette impertinente… Bref, la bizarrerie dans le décor. Il y en a toujours, pour qui se donne la peine de les chercher – et le temps pour les trouver.

Un drôle de petit passage

Après avoir salué la statue de M’sieur Bugatti dans le parc des Jésuites, je franchis la porte des Forgerons, vais lancer une œillade complice à ma vieille amie l’Horloge astronomique (dont un cadran affiche les heures et un autre, les minutes), admire encore l’ancien Siège de la corporation des Boulangers…

…ou du Henckergaesse.

Mais soudain, une petite voix me souffle à l’oreille de faire demi-tour. Il faut toujours écouter les petites voix qui vous soufflent à l’oreille ; alors, j’obéis. Quelques minutes de déambulation le nez au vent, et je me retrouve face à un drôle de passage. Celui-ci affiche une double plaque bleue à son entrée. Il ne s’agit pas de la simple mention superposée des appellations françaises et alsaciennes de la voie…

L’antre du bourreau était-il fermé à double tour ?

La première plaque indique RUE DES SERRURIERS. Jusqu’ici rien de follement original, mais juste en dessous, la lecture de sa jumelle me procure un petit frisson tout à fait croquignolet. Henkergaessel, annonce-t-elle, avec, en complément d’information : Étroit passage dit « Ruelle du Bourreau » dans lequel celui-ci habitait autrefois. Tous ces petits morceaux de puzzle me ravissent, et je me lance dans la reconstitution de l’historique évoqué en les arrangeant à ma sauce. L’artisan tortionnaire, rentré éméché un soir d’une petite sauterie, avait-il dû faire successivement appel à plusieurs serruriers parce qu’il avait oublié ses clefs ? Comme ceux-ci avaient finalement réussi à ouvrir sa porte récalcitrante, les avait-il remerciés en baptisant sa rue à leur honneur ? Cette interprétation me semble plus rigolote que vraisemblable ; je décide cependant de la conserver.

…ou du Henckergaesse.

C’était compter sans le graffiti !

Fignolant les détails de mon petit scénario, je m’engage dans ladite ruelle, qui semble s’élargir, pour y découvrir illico un graffiti qui me laisse pantoise ! REVIENS TU ME MANQUES. Déplorant un instant l’absence de ponctuation, résistant à la furieuse envie d’y rajouter moi-même une virgule par ici, un point d’exclamation par là, je sens ma respiration s’accélérer. Et si le bourreau dont on parlait à l’instant n’était finalement rien d’autre qu’un bourreau des cœurs ? Et qui était la pauvresse éplorée qu’il avait laissée lorsqu’il s’en était allé vers d’autres aventures ? J’examine les pavés, les portes, les fenêtres, à la recherche d’un signe, en vain… Sploutch, une grosse goutte de chocolat s’écrase soudain sur mon cou-de-pied, me ramenant à la réalité. En même temps, un petit nuage voile le soleil et un coup de vent me donne la chair de poule. J’avale d’une bouchée le reste de mon goûter.

… Et Elisabeth Juneck ?

Je ne peux pourtant pas quitter la ville sans faire un détour par la rue Élisabeth Juneck, la seule femme à se trouver dans l’annuaire des voies molsheimoises avec Marie Curie et Sainte Odile. Une fois arrivée sur place, j’ai la surprise d’y rencontrer un jeune homme passionné de modélisme, faisant rouler à toute berzingue son petit bolide sur l’espace situé le long des rails de chemin de fer. Vient-il ici pour rendre hommage à la formidable pilote automobile tchèque – dont le véritable nom était Eliška Junková ?

Tu me manques ! / ©dr

Adieu bourreau, adieu serruriers, adieu Rémy, il est temps de m’en aller : j’ai un soulier tout neuf à tâcher de détacher. Mais comme je n’ai toujours pas vu à quoi ressemble le train miniature dont on m’a tant parlé, je reviendrai à Molsheim !

Sylvie De Mathuisieulx

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