Strasbourg a le vent en poupe. Après avoir été élue première ville de France où les femmes se sentent bien, elle est pour un an Capitale mondiale du livre, c’est chouette, et ça produira certainement des milliers de petits lecteurs qui deviendront des adultes plus intelligents et cultivés, m’a dit ma voisine en fermant le dernier roman de Nicolas Mathieu.
Elle a l’habitude de lire sur le banc d’en face, je l’observe de ma fenêtre, et lorsque je la vois dévorer un ouvrage pendant des heures en croisant et décroisant les jambes, je la trouve encore plus séduisante que d’habitude. C’est beau quelqu’un qui lit, ça lui donne de la profondeur, de la vie. Mais revenons sur ces titres mondiaux que les villes s’arrachent : il y a les inamovibles, Krautergersheim est la Capitale de la choucroute pour l’éternité, Haguenau celle de Sébastien, Colmar celle de Noël, Castelnaudary c’est le cassoulet, Richerenches s’est autoproclamée Capitale mondiale de la truffe, Paris c’est toujours la mode, Chomérac en Ardèche sera bientôt Capitale mondiale de la pétanque, Apt est Capitale mondiale du fruit confit, Anvers du diamant, Lyon de la gastronomie ou encore Rishikesh, une ville indienne, celle du yoga. On en a des milliers en magasin, il faut que ce soit vendeur, il faut que les gens en fassent des posts sur les réseaux, il faut que ça claque et que les touristes viennent voir la merveille.
Et on peut tout imaginer : la Capitale mondiale des teckels jaunes, de l’ivresse sans alcool, de l’étrangeté, de minuit, des arbres centenaires, du foot, du sourire, des cons, de l’envie, de l’amour, du sexe, de l’enthousiasme, du régime sans sel, des paires de claques, des knacks moutarde, de l’amitié woke, des woks, la Capitale des capitales, de la connerie aussi. Il y a un million de villes dans le monde, mais pas assez de mots ni de lettres pour en faire des capitales, c’est heureux, car à force de vouloir être Capitale de tout, il ne faudrait pas oublier d’être celle de l’ouverture d’esprit, m’a dit ma voisine en reprenant sa lecture.