L’histoire de la choucroute dans votre famille ne date pas d’hier, racontez-nous…
La maison alsacienne de gastronomie Le Pic, c’est notre histoire depuis cinq générations. Aujourd’hui c’est le légume gourmand, mais historiquement cela vient de ma grand-mère à Krautergersheim. La première génération en 1850-70 plantait le chou, la deuxième a commencé à le couper et le fermenter dans des cuves en béton, la troisième a agrandi en s’implantant à Meistratzheim, la quatrième, mes parents, a modernisé et optimisé, et la cinquième génération apporte la diversité, la communication et le tourisme. Moi, ça me botte et je l’ai écrit, je ne suis pas loin de ce que je m’étais fixé. (sourire)
On vous imagine déambuler dans les pattes de vos grands-parents, mais quel est votre parcours ?
J’ai fait des études de commerce à Belfort qui m’ont donné une belle visibilité sur l’entreprise connectée aux techniciens, et à Lyon, un Master entrepreneuriat. Puis j’ai travaillé à la chambre de commerce en Australie, et aussi dans le transport. Je suis quelqu’un qui bouge beaucoup, et je reviens en 2008 parce que c’était le moment, la passation a été naturelle. J’ai toujours été attaché et donné un coup de main à l’entreprise familiale, mais avoir des expériences permet d’avoir une vision différente et d’apporter sa pierre à l’édifice.
Justement, quel est votre domaine de prédilection ?
Je reprends la partie commerciale, d’abord en région parisienne au bureau qui existe toujours aujourd’hui. Mon histoire commence avec la vente de produits crus et fermentés, j’y crois parce que c’est bon pour la santé, et le développement de la partie légumes, puisque la saisonnalité de la choucroute va en gros d’août à mars, donc élargir la gamme sur l’année. Nous faisons du chou rouge, du navet, des pommes de terre, etc., et développons le format (des petits pots de 1kg en libre-service). Les recettes sont déclinées à toutes les sauces, par exemple la salade d’été—choucroute carotte pomme raisin et curry—ou le mélange Pasta’chouc—spaetzle choucroute crème lardons—, le confit de choucroute aussi, qui est bien meilleur et plus alsacien que le confit d’oignon, et des recettes sur demande des clients.
Et tout cela, vous le racontez depuis 2015 au sein de la Maison de la choucroute ?
Oui, je l’ai créée parce que notre plat est assimilé à la choucroute garnie, mais il y a mille autres applications et c’est ce pour quoi je me bats. Entre 5 et 10 000 personnes visitent la Maison de la choucroute chaque année, des locaux ou des touristes, et, en général dans l’agro-alimentaire on est gourmand, on finit par une dégustation! Et juste avant le covid, le site en ligne www.lamaisondelachoucroute.fr a été lancé pour continuer à acheter, à l’export aussi, tous les produits d’Alsace.
Une de vos fiertés, c’est la mention IGP obtenue en 2018 pour la choucroute d’Alsace ?
C’est un beau légume que nous avons valorisé et protégé. Je suis président de l’Association de valorisation de la choucroute d’Alsace depuis 12 ans. Elle regroupe une cinquantaine de producteurs, neuf choucrouteries qui transforment la majorité du chou d’Alsace, ce n’était pas le cas quand j’ai repris (50%). Le dossier IGP a pris vingt ans, ce n’était pas gagné. Le cahier des charges est restrictif, par exemple sur le poids du chou—au moins 3kg—ou la longueur de lanière, sinon cela devient de la choucroute tout court. 1200 T de choucroute d’Alsace IGP sont produites par an, soit 5% des volumes produits : c’est allé assez vite et nous sommes pris en exemple.
Vous êtes ancré dans le terroir et défendez ses valeurs, comment cela se traduit sur le territoire ?
Chaque année je plante des choux, on ne dirait pas ! (rires) Aux alentours du 15 avril, on plante des choux nous-mêmes, je suis aussi exploitant agricole, dans le vrai, je ne fais pas que de la communication. Nous apportons notre soutien aux actions de la commune, la Fête de la choucroute, les Foulées de la choucroute, le Mois de la choucroute… Je milite aussi pour ouvrir nos portes et faire visiter nos entreprises, par exemple aux scolaires, à travers les Escales alsaciennes.
Les Escales alsaciennes sont une idée de l’ARIA, de quoi s’agit-il ?
Quand j’arrive à l’ARIA en 2015, je me dis que c’est bête de faire seul, donc je crée les Escales alsaciennes, du tourisme de savoir-faire qui vise à rassembler une vingtaine d’entreprises agro-alimentaires comme nous, Meteor, Wolfberger, Fortwenger, etc. J’en suis très fier et Perrine Hilberer des Confitures du Climont en est la présidente, elle sera présente au Salon Made in Alsace ou au Salon de l’agriculture. L’idée c’est toujours le collectif, et avancer ensemble.
Vous êtes président de l’ARIA depuis 2022, elle va fêter ses 30 ans en 2024. Quelles sont ses forces ?
C’est un beau défi de valoriser l’industrie alimentaire, de l’apéritif au digestif et du champ à l’assiette, sous les marques Savourez l’Alsace et Savourez l’Alsace produit du terroir. Aujourd’hui, quand il y a un besoin, on comble les trous dans la raquette : pendant le covid, les industriels de la tarte flambée manquaient d’huile, et en Alsace on a du colza. Cette mise en réseau avec une centaine de membres nous permet de répondre aux demandes. On va fêter les 30 ans de l’ARIA avec une thématique qui caractérise qui je suis, l’humain et le vertueux. Sans humain on ne fait pas grand-chose. L’année dernière, nous avons été nommés région la plus consommatrice de produits locaux, et bien devant les Bretons : 8% contre 2% au niveau national, et cela grâce à nos entreprises alsaciennes qui créent de la valeur et sont vertueuses sur le territoire.
Que répond l’ARIA à la crise agricole ?
On n’a pas attendu les problématiques actuelles de souveraineté alimentaire, on est dans le même bateau et on a des échanges fréquents. En fait, on a engagé cette démarche qui est de dire si on peut le faire, il faut qu’on y réfléchisse. Je pars de mon histoire qui vient de la terre, et aujourd’hui on crée des filières, la moutarde, un beurre à base de lait d’Alsace, l’orge et le houblon alsacien, les pâtes au blé dur, le porc, la volaille, la poudre d’ail… En Alsace, ce n’est pas un sujet de dire l’industrie agro-alimentaire ne fait rien pour les agriculteurs parce que c’est l’inverse.
À propos de vertu, le toit de votre usine est recouvert de panneaux solaires, mais vous avez aussi d’autres projets environnementaux ?
Le premier sujet que j’ai porté à l’ARIA concernait le jus de choucroute. Pour 1kg de choucroute, il faut 2kg de chou, on produit donc autant de déchet, qui jusqu’ici était transporté par camion à Strasbourg. Or à Meistratzheim, nous avons la seule station d’épuration en Europe capable de méthaniser le jus de choucroute, et cela fonctionne bien. La prochaine étape sera d’utiliser le gaz pour alimenter notre usine en énergie : ce sera extraordinaire de boucler la boucle !