Le jeudi 18 mars 1971, je fais un démarrage en côte dans la montée de la rue de la Redoute à Haguenau, l’inspecteur est souriant et à l’arrière, monsieur Llerena, le directeur de l’auto-école, est content. Il m’aime bien. C’est bon, j’ai mon permis, samedi dernier j’ai fêté mes 18 ans, on a attendu le jeudi après-midi, jour de congé scolaire. On monte ensuite dans le poids lourd, un camion rouge dans ma mémoire, et je refais le même démarrage — que je loupe un peu à cause du double débrayage, et le même circuit de 20 minutes, voilà, j’ai mes deux permis le B et le C, celui de plus de 3,5 tonnes.
La leçon en poids lourds coûtait 30 francs de l’heure et j’en ai pris trois. Cet été j’accompagne Monsieur Ohlmann, mon voisin de la rue des Fourmis, qui est camionneur à Eurotransit. On va en Inde apporter des colis de conserves aux enfants qui meurent de faim et l’association a besoin d’un accompagnateur titulaire du permis.
La voiture est un symbole de liberté, au lycée, tous, dès les bougies du gâteau d’anniversaire éteintes, on se précipite pour s’inscrire à l’auto-école. Le code pour un lycéen, c’est plus facile que du latin, le permis c’est presque une formalité, le nombre de panneaux de signalisation est peu élevé. Il n’y a pas de minimum d’heures de conduite pour passer l’examen, on s’est déjà entraîné avec quelqu’un de la famille ou un copain sur une route en béton du terrain d’aviation avant Marienthal.
Le jour du permis, une marche arrière, un créneau, cinq minutes en ville, la circulation est fluide, et voilà les trois volets roses en poche ! Première bagnole d’occase, une 2CV ou une 4L, moi une 403 bleu foncé avec sièges couchettes, la banquette avant se rabat. Pour le moteur on cherche des pièces à la ferraille, les pneus aussi. Pas de limitation de vitesse, pas de radar, pas de ceinture de sécurité, pas de PV de stationnement, juste des copains et des copines, des week-ends et un trousseau de clés, oui, la bagnole, c’est la liberté !
Notre enfance en Alsace, années 60 et 70, Christine Moser, 2015, éd. Wartberg
Ambroise Perrin