dimanche 24 novembre 2024
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Barbara assiste au concert public à Dorlisheim

Barbara, c’était déjà un succès d’estime, une chanteuse « art et essai » comme aurait dit un cinéphile. Elle chante à Bobino, à Genève, à Bruxelles, elle part en tournée en France, et en ce mois de mars 1966, elle est en Alsace. La dernière des dates de concert, ce sera le château de Brosse à Dorlisheim.

Barbara est invitée avec ses musiciens à la télévision régionale à Strasbourg : « mes textes n’ont de qualité littéraire que si on les lit avec la mélodie, et que dire de plus, pas d’interview ». Patrick Martin et Gérard Brillanti enregistrent alors une courte version de 2’42 de « Si la photo est bonne », Barbara au piano, et la caméra de studio fait du chiqué à travers une fenêtre de théâtre pour cadrer le contrebassiste et l’accordéoniste. Le décor noir et blanc joue du style des mobiles de Calder et la diffusion, ce sera le 12 mars, bonne promotion pour assurer une salle pleine. Et la salle est pleine à Dorlisheim. Barbara est rigoureuse, exigeante, maniaque. Le tabouret est placé au millimètre près au centre de la scène. Sur la table dans les coulisses, un paquet de réglisses Zan et un bocal de cornichons (faits maison par la gardienne du château, aigre-doux au sucre roux dans du vinaigre Melfort). Barbara arrive très tôt dans la salle, surtout pas d’émotion de dernière minute.

Mais ce soir, Barbara a perdu sa voix, elle est aphone, vraiment, la fatigue, quelques soucis d’amour et de lointaines angoisses. On téléphone au médecin du village, à sa « phoniatre » à Paris, elle avale du miel, accepte une piqûre de vitamines, impossible de chanter. Le public venu de Mutzig, de Molsheim, d’Altorf, de Rosheim ne s’impatiente pas. Barbara va saluer, elle s’excuse, elle s’avance, le micro crachote et elle chuchote, elle reviendra bientôt, on applaudit. Une voix dans la salle ose s’élever dans le brouhaha, « je l’ai trouvée devant ma porte un soir que je rentrais chez moi, partout elle me fait escorte, elle est revenue, la voilà… ».

Barbara sourit, mais le public, le voilà, il chante. Les spectateurs poursuivent la chanson, « la renifleuse des amours mortes, elle m’a suivi pas à pas… ». Barbara est éberluée, elle va doucement vers le piano, et elle donne le tempo, elle accompagne cette dame qui connaît par cœur « La solitude », et qui enchaîne avec « Une petite cantate », du bout des doigts, ils sont maintenant une dizaine à chanter et tous reprennent, si mi la ré, si sol do fa …

C’est toute la salle qui chante le programme du concert, on brode sur les paroles ou on fredonne la la la la, pour le rythme les musiciens suivent les spectateurs, Barbara masque ses larmes de bonheur, il n’y a aucune fanfaronnade, juste l’amour des chansons… Pour la première fois, Barbara assiste à un concert de son répertoire. C’est elle qui applaudit la salle et d’un filet de voix d’étourneau chansonné, Barbara murmure «j’ai pleuré mes larmes, mais qu’ils me furent doux, tous ces sourires de vous, vous étiez venus m’attendre, je reviendrai un soir en septembre». Et soudain, comme une révélation, « je vais écrire une chanson pour le public de Dorlisheim, cela s’appellera Ma plus belle histoire d’amour c’est vous … »

Ambroise Perrin

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