Il fait beau à Paris. Au milieu des hommes en cravate et des femmes apprêtées, Elsa Schalck est en baskets. Depuis plusieurs semaines, elle ne marche pas à l’allure d’un sénateur, mais à celle d’une femme enceinte. Au mois de décembre, elle sera maman pour la première fois. Elle attend un garçon. Et ce bébé a déjà une histoire.

L’Alsacienne est la première femme enceinte de l’institution, mais elle n’est pas du genre à étaler sa vie privée dans les médias. On n’en saura pas plus, juste qu’elle se réjouit de l’évolution du Sénat, de sa féminisation ; il y a aujourd’hui 37 % de femmes au sein du représentant des collectivités territoriales. Elle mettra la Chambre haute entre parenthèses pendant quelques jours, au profit d’une chambre d’enfant, après avoir assisté au « déplacement du centre du monde », ce sentiment unique que l’on ressent dans la seconde où l’on devient parent. Mais ça, elle ne le sait pas encore. Elle constate néanmoins que « les priorités ne sont plus les mêmes. Pendant la grossesse, la concentration et le cerveau changent ». Cela n’empêche pas l’ancienne avocate de rester attentive aux sujets sur lesquels elle a beaucoup travaillé, comme la création d’un statut de l’élu local, adopté à l’unanimité en deuxième lecture, ou la loi visant à intégrer la notion de non-consentement à la définition pénale du viol.
Celle qui était la benjamine du Sénat à son arrivée en 2020 est vice-présidente de la délégation du droit des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, elle a été rapporteure de ce nouveau texte. Alors on en arrive naturellement au Consentement, le livre de Vanessa Springora qui a changé beaucoup de choses dans notre pays : « Cela montre que parfois, le législatif suit des évolutions de la société, des témoignages qui ont permis de pointer une lacune et un besoin de changer les choses. Depuis que je suis au Sénat, il n’y a pas eu une année sans textes qui concernaient les violences sexuelles ou sexistes en règle générale. On voit bien que sur ces sujets il y a un véritable fléau qui inonde la société. Nous devons accompagner un changement de mentalité ».

Elle se souvient aussi du texte sur la constitutionnalisation de l’IVG, la mobilisation de sénateurs de tous bords politiques. Sa parole est cohérente avec la ligne de son parti, même si sur le sujet de l’IVG, ce n’est pas un mystère, son président de groupe était contre. Pas elle. « Ce qui compte c’est d’être respectueuse des avis de chacun, d’être à l’écoute ».
Sur un autre sujet brûlant, pas d’atermoiement non plus, pour l’élue, l’État de droit est sacré, c’est un cadre qui doit être respecté par tous, comme l’est l’autorité de l’État, celles des élus, des enseignants ou des policiers, c’est un tout. C’est plutôt clair. Comme son plus vieux souvenir de politique, la venue de Jacques Chirac alors président à Strasbourg. Elle n’avait pas encore 10 ans. Plus tard, au moment du CPE et des blocages étudiants, elle s’est engagée pour démontrer que ce n’était pas la solution. Puis, elle a fait le tour des meetings pour savoir de quel côté s’engager, à droite ou à gauche, pas évident quand on a 17 ans. Elle choisira l’UMP, avec le désir de changer les choses, de travailler pour le collectif, sans forcément penser à être élue.

LE JOURNAL D’UN MONDE
Nous déjeunons au restaurant du Sénat. Au menu, filet de dorade accompagné de pommes de terre écrasées à l’huile d’olive. Une bonne table dans un décor que l’on voit plus souvent au cinéma. « L’héroïne » du jour ressemble à Renée Zellweger, on lui dit souvent, celle qui a incarné Bridget Jones dans un Journal resté longtemps au sommet du Box-office. Mais nous ne sommes pas là pour ça. Le sujet c’est le Sénat, un lieu qui inspire le sérieux, la sérénité, la sagesse « et la stabilité dont la France a tant besoin. Le bicamérisme est important. Le Sénat prend le recul nécessaire pour légiférer au mieux C’est une maison qui appelle au compromis, notre pays a besoin d’avoir une chambre des Territoires qui représente les élus locaux, nos particularités, et qui est fière de chaque identité », affirme l’Alsacienne.
Profondément alsacienne même, de naissance et de coeur, dans son quotidien et les combats qu’elle mène. Par exemple, la défense du droit local. Elle évoque les économies que l’on peut faire avec la décentralisation, le renforcement des compétences des collectivités territoriales, « c’est préférable à un État qui s’occupe de tout, mais qui ferait mieux de s’occuper uniquement des missions régaliennes ». Après une salade de fruits, une envie balèze, on parle de son stage de deux mois au Québec lorsqu’elle était très jeune. Elle a aimé la bienveillance des gens et le vrai partage entre la vie privée et la vie publique ou professionnelle. « Quel que soit le boulot que tu fais, tu arrêtes à 17 heures, et après il y a toute une vie qui se développe. Dans chaque quartier, il y a une piscine, car ils estiment que le sport est essentiel pour s’épanouir ».

Elsa Schalck représente une nouvelle génération d’élus qui espèrent construire un modèle de société dirigée par des hommes et des femmes qui ne se sentent pas au-dessus des lois et qui, aux côtés de tous les citoyens, se battent pour un avenir meilleur : « Ce qui était notre richesse, la pensée nuancée, se transforme de plus en plus en clivage manichéen et violent. Même si les inquiétudes sont nombreuses, le réchauffement climatique, la montée des extrêmes, le populisme, ce sont des dangers, ce n’est pas tout de faire des constats, il faut trouver des solutions ».
La sénatrice ne se nourrit pas du conflit, de ses petites phrases sorties de leur contexte qui excluent la richesse de la pensée. Elle fait de la politique avec une forme de délicatesse dans sa manière d’exprimer les choses, d’éviter la morosité ambiante, une douceur : « Ce qui m’intéresse, ce qui m’émerveille, c’est la différence. Je trouve ça extraordinaire. J’adore m’installer à une terrasse et observer les gens. Je resterai comme je suis, et on verra bien où cela me mène », dit-elle avant de repartir travailler pour que le pays des Lumières ne s’éteigne pas peu à peu. Bientôt elle sera maman et vivra le déplacement du centre du monde, un monde qu’elle construit chaque jour pour son fils, et pour le collectif.


