J’aimais à l’automne lui offrir des pommes. Je savais qu’il les appréciait, crues ou cuites. S’il les aimait tant, c’était pour leur goût, mais aussi parce qu’elles ne faisaient pas de mal à son estomac fragilisé par la guerre.
Cet artiste majeur de la deuxième moitié du 20e siècle, né en 1920, avait suivi les cours de l’École des Arts décoratifs de Strasbourg (l’actuelle HEAR), où il avait reçu l’enseignement de Louis-Philippe Kamm, René Hetzel et Luc Hueber. Le régime nazi, qui interdisait toutes formes d’expression liées à l’art moderne, le qualifia de peintre décadent, et, considérant qu’il pratiquait un « art dégénéré » (entartete Kunst), le déporta au camp de Schirmeck. Puis il fut incorporé de force dans l’armée nazie pour le front russe et interné au camp de Tambov, en Russie, pendant trois ans.
Lorsque mes vieux pommiers donnaient leurs pommes, je lui en déposais. Parfois j’y ajoutais un pot de compote parfumée à la vanille. Camille aimait ce geste, qu’il percevait comme un cadeau en prévision de son anniversaire, le 30 septembre. Camille était aussi poète. Toute phrase dite ou écrite par lui était belle et profonde. Il fut aussi un homme d’écriture. Chaque jour, il prenait sa plume et écrivait sur les instants vécus, sur une sensation ou un sentiment. Il tenait au quotidien un journal, qui lui faisait remplir des carnets rédigés de sa belle calligraphie. Il a écrit et illustré des livres, il fut chroniqueur pour la revue Élan et pour les Dernières Nouvelles d’Alsace.
Quelques jours après mon « dépôt » de pommes, je recevais généralement une lettre de Camille. Je reconnaissais d’emblée sur l’enveloppe son écriture. J’en éprouvais de la joie. Ainsi, le 23 septembre 2002, après avoir découvert ma compote de pommes posée sur son pas de porte, il écrivit ces phrases : « Très chère Simone, discrète comme une fée qui manifeste sa présence par un plaisir que l’on savoure. Merci de ne pas oublier le vieil homme qui œuvrait dans son atelier et qui aurait été heureux d’être dérangé par vous… Vous m’avez apporté le déjeuner. Du riz, un reste d’hier, et votre exquise compote. Je n’en avais plus mangé depuis un an ! L’année passe aussi vite qu’un jour. Les vieillards sont toujours pressés, ils cavalent après la vie qui leur échappe… Je peins depuis un an, à raison de dix heures par jour, des tableaux sur le thème de la mort. Pas une mort tragique, même pas triste, non, la fidèle compagne qui nous suit pas à pas depuis la naissance. Elle nous contemple. J’ai décidé de la regarder amicalement, paisiblement, sans vouloir la comprendre, elle est aussi mystérieuse que la vie. Seulement la contempler et l’aimer.

M. Fabrice Hergott m’a offert une exposition au MAMCS en janvier, février et mars 2003, dans une salle, quatre murs, il y aura sept ou huit tableaux d’assez grand format. J’y travaille encore. Sans être sûr d’achever la commande que je me suis imposée, ni si je verrai cette exposition? Mais de quoi sommes-nous sûrs ?
Merci. Je vous embrasse, Camille Claus »
Il m’offrit deux mois plus tard un dessin à l’encre de Chine qui lui fut inspiré par mes pommes. Le tableau représente trois pommes posées dans une coupe, elle-même posée sur trois collines de faible déclivité. Une quatrième pomme – à moins que ce ne soit la première – est posée au pied de la coupe. Derrière elle jaillit une vive lumière rouge. Au-dessus de la lumière, une main aux doigts effilés se tend comme si elle allait saisir un des fruits. Camille a écrit le titre suivant sous cette œuvre : L’impossible réel.
Après sa mort en juillet 2005, j’ai écrit sur notre amitié dans le livre Retour à Bellagio (La Nuée Bleue 2007). L’actualité récente a fait parler de l’artiste en rappelant que les tableaux qu’il avait conçus pour l’église du Christ Ressuscité de l’Esplanade, à Strasbourg, ont été décrochés, suite aux souhaits de paroissiens désireux de
« changer la déco ». Ces 17 tableaux ont été mis à l’abri par Louise Claus-Bock, la fille de Camille, présidente de l’association « L’île du peintre Camille Claus » et les artistes Luc Dornstetter et Pascklin. Ils seront exposés à la Médiathèque protestante de Strasbourg du 3 décembre prochain à la fin février 2026.
En juin dernier, l’exposition au Caveau Sainte Barbe à Sélestat, organisée par l’association, a attiré plus de mille visiteurs. Et à la fin août fut dévoilée à Sélestat la plaque donnant le nom de Camille Claus à une école maternelle. Cette école se trouve adossée à l’église Notre-Dame de la Paix qui contient des tableaux de Camille Claus, ceux restaurés après leur « vandalisation » en 2001 à l’église Sainte-Foy qui les abritait précédemment.
Camille Claus a toujours entretenu un rapport d’amitié avec Sélestat. En 1986 il avait été fait citoyen de la ville par le maire Marcel Bauer. Son attachement à la ville humaniste était sans lien avec ses origines : Camille était né d’un boucher strasbourgeois et d’une maman potière, issue de la famille Lehmann de Soufflenheim.
L’info en plus
Prochains rendez-vous de l’association « L’île du peintre Camille Claus » qui promeut, protège et fait connaître au grand public l’œuvre de l’artiste :
- Conférence Camille Claus par Luc Dornstetter – Mairie d’Eckbolsheim le 8/10 à 19h (sur inscription par mail)
- Exposition Camille Claus «Les Icônes de la Présence» – Médiathèque Protestante, quai Saint-Thomas à Strasbourg décembre – janvier – février prochains avec le lancement de la réédition «Un enfant nous est né»
- Exposition des tableaux du Christ Ressuscité Esplanade
Contact : camille.claus.asso@gmail.com