Serge Dubs est devenu meilleur sommelier du monde, tandis que Béatrice s’est imposée comme la reine des confitures, des gâteaux au chocolat. Mais pas seulement ! Aujourd’hui, chers Maxi-Läser’s, je ne vais pas vous parler de gastronomie. Je vais vous parler de Serge et Béatrice, deux perruches inséparables, deux âmes fidèles, deux cœurs en plumes. Vous connaissez tous, chers Maxi-Läser’s, ce petit bourg Illhïsre dans notre langue maternelle.
En frenchy, on dit Illhaeusern, cette petite commune aux allures de carte postale nichée entre Kolmer, et Schléttstàdt, mondialement connue au bord de la majestueuse rivière, l’Ill. Ce cours d’eau paisible ondoie comme un ruban d’argent chuchotant aux roseaux attentifs des histoires anciennes. Et quand on s’y promène, si l’on tend l’oreille, les roseaux deviennent bavards, hochent doucement la tête. Oh ! Ces chuchotis vont beaucoup plus vite que le tire-bouchon, un soir de fête à l’auberge.
ICI, ON SERT AUSSI L’AMOUR À LA CARTE !
Étoile parmi les étoiles, on vient bien sûr à l’Auberge de l’Ill pour goûter l’excellence. On y vient pour des plats ciselés comme des bijoux, portés par l’âme d’une illustre famille, gardienne des saveurs et des souvenirs. Dans la cuisine, quand le coup d’feu tintamarre, les flammes ne sont pas que dans le fond des casseroles. Car au fil des années, l’Auberge de l’Ill est devenue une fabrique à romances, une discrète agence matrimoniale où le destin s’amuse à jouer les entremetteurs. J’entre dans cette ruche bourdonnante avec mon carnet à spirales, mon stylo Bic, au cœur de cette chorégraphie culinaire. Monsieur Marc Haeberlin évolue comme le chef d’orchestre, l’œil vif, toque haute perchée, tablier d’une blancheur Bonux, je me risque à lui glisser, à mi-voix, un brin de curiosité :
– Dites-moi, Monsieur Marc, avec toutes ces années, tous ces visages, avez-vous une petite idée du nombre de personnes qui se sont mariées à l’auberge de l’Ill ?
Il ne s’arrête pas de tournicoter sa sauce, juste un battement de paupières, un sourire en coin malicieux. Sans quitter le nappage d’un filet de sandre, il me dit ceci tranquillou :
– Oh ! Vous savez Maxi-Trotteur, c’est là, au travail, que les cœurs se croisent mille fois, et un beau jour… ils s’arrêtent ! Un bon nombre de mariages, même un nombre conséquent. Car plus que des étoiles au Guide Michelin, l’auberge a depuis bien longtemps décroché celles qu’on ne voit qu’avec le cœur, et ça voyez-vous, ça nous rend heureux. Vraiment ! Traversez donc la place de l’église, au n°1, laissez-vous guider jusqu’au portail des Dubs, c’est un bel exemple d’un amour fidèle et lumineux. Peut-être trouverez-vous matière à enrichir votre plume André !
– Grand merci Monsieur Marc.
XXXXX
En traversant ce lieu de silence, la place de l’église Saint-Pierre et Paul édifiée en 1728, je lève les yeux vers le clocher au chapeau pointu. Un détail me frappe. Là-haut, luisant sous le ciel de ce village de pêcheurs, un poisson en fer forgé, tourne au gré du vent. Pas un coq, non ! Mais un brochet aux dents acérées, sculpté dans le métal, il semble me sourire, un rien narquois. Fier, discret, gardien silencieux de ce lieu, mondialement connu et reconnu. Je dring-dring finement devant le portail cossu de la famille Dubs, en insistant, bien sûr ! Rien. Pas un bruit, pas un froissement de rideau. Je re-sonne, ddrrriing avec obstination. Toujours personne. Le silence est lourd, épais et poli comme le portail. Puis, au loin, des pas, un cliquetis de Schlàppe wie Schlamper er rum. Madame Béatrice Dubs me lance une tirade en alsacien, bien planté, celui que l’on parle avec des ààà, dans le 6.8 im Oowerélsàss !
– Jà, jà, numma làgsàm, i komm, i komm, isch’s dr facteur,
dr Brïafbot ?
– Nei ! Nei ! S’Isch de Maxi-Màrschïerer d’André Muller !
– As Màrcht mir Plasiar dich wieder za sah, André ! Komm a ri, Hit’z Morjà màch i Ardbeer ùn Rhubarde konfitür.
Je pousse la porte de ce corps de ferme aux colombages croisés, bien entretenu et empreint d’une douceur ancienne. Sur la droite, un verger s’étire, paisible, les cerisiers, les mirabelliers et les quetschiers dressent leurs ramures comme des poésies que la terre écrit pour le ciel. Avec sa simplicité légendaire, Béatrice m’installe à la table de son jardin et me fait goûter sa confiture, fraise-rhubarbe, couleur soleil. J’écoute sa voix douce, elle me raconte avec l’émerveillement du premier jour, cette belle idylle avec Serge, ce garçon aux yeux noisette, si doux, si délicat, de si bonne famille. Au début de sa carrière, Béatrice était au vestiaire, à la caisse, puis en salle, du temps de Monsieur Paul et de Monsieur Jean-Pierre. Souvent, après le tumulte des repas, dans la douceur retrouvée, Serge et Béatrice essuyaient les flûtes en cristal.
– C’est là que nos regards miroitaient, se croisaient, se cherchaient dans les verres où dansaient encore quelques bulles dorées. Et puis un soir, le grand jeu. Serge m’invite dans la grande ville, Strasbourg. Un dîner aux chandelles au Crocodile, l’autre grand restaurant étoilé. Une parenthèse précieuse, une escapade avec l’accord bienveillant de ma mère Monique qui adorait Serge. Elle disait toujours le regard pétillant avec le sourire en coin « Il a quelque chose, ce garçon ». Nous sommes mariés depuis tant d’années ! Le temps a glissé, les verres se sont remplis, d’autres se sont vidés. Serge mon mari est devenu le sommelier le plus titré au monde gardant toujours sa simplicité. Tu reprends une tasse de café mon cher André, avec une tranche de Kougelhopf ?
-Avec plaisir Béatrice, tu embrasseras bien ton Serge !
-Oh, il est au Japon en ce moment, tu sais, à Osaka, dans l’autre Auberge de l’Ill de la famille Haeberlin. Serge renouvelle la carte des vins, encore un beau projet.
Avant de franchir le grand portail, Béatrice m’offre deux pots de confiture fraise-rhubarbe, couleur soleil. « Pour la route », me glisse-t-elle avec un clin d’œil.
À très vite, chers Maxi-Läser’s pour d’autres aventures, dans un petit recoin de notre paradis alsacien ou ailleurs.
Le Maxi Trotteur
André Muller