lundi 10 mars 2025
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Rue des Décimateurs ?

L’autre jour, j’avais à faire à Schirmeck

Selon mon habitude, avant de me rendre sur place, j’ai procédé à une étude attentive et prémonitoire des lieux. Pas dans une boule de cristal, non, dans des plans et des index de rues. Je peux y passer des plombes. L’absence d’image, la puissance évocatrice des mots, cela me procure une espèce de ravissement précurseur de la visite proprement dite. Général de Gaulle, Maréchal Leclerc, évidemment, les habitués sont ici en compagnie de Saint Sébastien et d’un énigmatique Monsieur Marcel Heiligenstein (vérification faite, un ancien maire de la commune). Je grogne : pas une seule femme dans la liste. Hélas, c’est fréquent. La place du 17 novembre rappelle la date à laquelle les troupes françaises sont arrivées… en 1918.

Ça alors, une place du Bergopré !

C’est quoi, un Bergopré ? Jamais entendu ça. La bucolique appellation laisserait-elle deviner, en territoire alsacien, une montagne ? Ou bien une berge et un pré ? Voilà qui mérite d’être vérifié. Un dernier coup d’oeil à la carte… et hop, en route !

©documents remis

« Depuis la gare, c’est toujours tout droit ! » C’est ce qu’on m’avait annoncé, puisque je me rends à la médiathèque. À l’arrivée, quelques minuscules nuages blancs moutonnent dans le ciel bleu. J’inspire un grand bol d’air en examinant le paysage. Entourant la commune, des forêts pentues – ça doit être coton de s’y promener. Je file jusqu’au au Bergopré : c’est par là, à gauche. L’endroit accueillit, jadis, l’une des premières filatures mécanisées de la région. Au creux de la vallée, il est délimité, d’un côté, par la berge du canal, de l’autre, par celle la Bruche… J’apprendrai aussi plus tard l’existence de la technique du « blanchiment sur pré » utilisée ici-même : mon hypothèse de départ n’est peut-être pas si bête.

J’ai devant moi presqu’une heure de liberté

Largement de quoi me lancer dans une balade comme j’aime, par-ci, par-là, le nez en l’air. Tiens, ils sont drôlement chouettes, les lampadaires schirmeckois. Demi-tour vers le centre pour y tournicoter un peu. Ah, la jolie « tourette ».
Couleur citrouille, on la dirait coiffée d’un chapeau de sorcière !
Plus loin, inattendue ici, une petite synagogue devant laquelle je m’arrête un instant, soudain grave. Je respecte profondément le devoir de mémoire, mais m’accorde aujourd’hui le droit de ne pas trop penser à un certain camp de redressement qui tente de se faufiler dans mon esprit. J’inspire une bonne goulée d’air frais et poursuis mon bonhomme de chemin. Si je m’offrais une vue panoramique depuis le haut de la rue de la Source ? Chiche. Après quoi je redescends me promener encore un peu, tant pis si le ciel est maintenant couvert.

©documents remis
L’heure de mon rendez-vous approche

Heureusement, ce n’est pas loin. Plantée devant la gare, je prends conscience que tout à l’heure je n’ai même pas levé les yeux sur l’édifice catholique. Rue de l’Église, après avoir repéré la médiathèque du coin de l’oeil, je m’approche pour déchiffrer la vieille inscription qui surplombe la porte du lieu de culte. Il y est annoncé que sa tour a été bâtie, en 1778… par les décimateurs de la ville. Le terme me fait grimacer. Décimer, sauf erreur, c’est bien, en langage courant, anéantir, massacrer, zigouiller ! J’imagine un instant la rue de l’Église rebaptisée rue des Décimateurs. Un sacré coupe-gorge, à tous les coups. Tout cela me perturbe tant que je manque m’étaler dans la structure de tuteurs en corole qui orne le parvis. Mais quoi ? Trois heures sonnent ? Vite ! Je déteste faire attendre les gens.

©documents remis
Le fin mot de l’histoire

Ce n’est que le soir venu, rentrée chez moi, que je repense à l’inscription gravée dans la pierre. Impossible de me coucher sans en avoir le coeur net. J’apprends alors qu’avant la Révolution, un décimateur était une personne habilitée à prélever la dîme, fameux impôt exigé par l’Église ! Ladite taxe s’élevait à 10 % des productions agricoles – pas étonnant, car décimer, à l’origine, consistait à supprimer un dixième de quelque chose. Je vais pouvoir m’endormir tranquille : même s’il ne s’agissait pas de brutes sanguinaires, il n’y aura jamais de rue des Décimateurs à Schirmeck.

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