Les accents portent la quintessence de nos origines et de notre chemin de vie. Ils colorent nos mots parlés avec les intonations de la langue maternelle. Ils ont la marque du temps, de l’Histoire et se posent sur notre manière de prononcer comme un onguent venu de la nuit des temps, mâtiné de rencontres et de voyages. Dire que l’on n’aime pas un accent constitue un rejet perçu comme humiliant et offensant. Car pouvons-nous commander à nos cordes vocales de devenir autres et devons-nous en gommer ce qui n’a pas l’heur de plaire aux oreilles des autres ? Le débat sur les accents est, de plus, stérile, car quel est le meilleur accent ? Et serait-ce un but à atteindre de parler sans accent en cette ère où l’uniformisation nivelle si tristement le monde ?
Les accents ont souvent été décriés en France. C’est que, pour les aimer, il faudrait aimer réellement les régions, qui constituent ce que notre pays a de plus beau. Elles n’ont jamais été valorisées comme elles le mériteraient. La France, état à forte tradition centralisatrice, n’a pas appris aux Français qu’ils pouvaient être fiers de leur accent, qu’ils devraient le cultiver, et non pas s’évertuer à le raboter autant que possible durant leur scolarité.
Jusqu’à l’âge de 11 ans, je n’ai pas su que j’avais un accent. Ce sont les
« autres », les francophones qui me l’ont révélé. La conscience de mon accent est venue en sixième, lorsque j’ai quitté l’école du village pour le lycée où je me retrouvais pour la première fois face à des francophones. J’ai pris conscience qu’ils parlaient « autrement », sans accent alsacien. J’étais persuadée que les élèves francophones écrivaient sans faute de grammaire et de vocabulaire, à l’image de leur expression orale qui me semblait parfaite. Et puis j’ai vite réalisé qu’on pouvait parler sans accent, mais avoir de piètres connaissances en grammaire et en vocabulaire. De plus, mon bilinguisme m’ouvrait une voie aisée vers les langues étrangères.
« Lorsque je sors de ma région, je dois souvent répondre à la question :
« D’où vient votre accent ? De Belgique ? De Suisse ? » »
Les accents fleurissent de moins en moins. Il faudrait tout faire pour les laisser s’épanouir et maintenir ces particularismes qui font notre richesse. J’aime circuler dans une France où j’entends des conversations que je ne comprends pas, que ce soit en Bretagne ou au Pays basque, dans des régions qui sont encore à forte identité, et qui ont encore une langue parlée, là où, dans beaucoup de régions, les accents sont encore présents, mais les parlers n’existent plus.
Lorsque je sors de ma région, je dois souvent répondre à la question : « D’où vient votre accent ? De Belgique ? De Suisse ? »
Lorsque j’ai répondu à un Marseillais que j’étais d’Alsace, il m’a répondu : «Vous, là-haut, vous êtes des Allemands ». Il avait visiblement raté un épisode de notre Histoire. L’Alsace est une région française, de culture germanique, ce qui devrait constituer sa fierté. Pourquoi vouloir le cacher ? Pour s’aligner sur un roman national – uniquement rêvé et non réel – d’une France gauloise ?
Le plus bel accent de France selon cette étude de Preply serait celui du sud, accent lié aux vacances et à l’été. Il est chantant, il porte les mots écrits de Pagnol et la voix de Raimu. Parler comme Pagnol ou Raimu sonne certes juste en Provence, mais parler comme Albert Schweitzer ou André Weckmann sonne juste en Alsace.
Colette aimait son accent bourguignon et les enregistrements de sa voix prouvent combien elle l’assumait avec naturel. Elle se fichait des snobs qui s’offusquaient qu’une femme si finement et poétiquement lettrée ne parle pas comme à la Comédie française et qu’elle ne s’efforce pas de gommer son accent paysan, aux « r » roulés.
Lorsqu’on rejette un accent, c’est en fait comme si on rejetait un peuple et son Histoire. Il y a une réalité humiliante à cela. On veut bien adhérer à nos villages, à nos marchés de Noël et à tous les stéréotypes déclinés pour les touristes à coup de communication et dans lesquels l’âme d’un peuple est peu considérée. Mais l’accent, lui, dérange. Le rédacteur en chef de L’Express, Michel Feltin-Palas, un amoureux des langues, estime que rejeter un accent est une discrimination plus puissante que rejeter la couleur de peau. Avec son collègue Jean-Michel Apathie, journaliste politique qui fait fleurir l’accent basque dans les médias, il a écrit le livre : « J’ai un accent, et alors ? »
Alors ? Aimons notre accent ! Et que ceux qui en sont incommodés aient la décence de tourner la langue sept fois dans leur bouche avant de se prononcer. Ou de se taire.
L’info en plus
Les ouvrages de Michel Feltin-Palas
J’ai un accent, et alors ? (avec Jean-Michel Aphatie) Éd. Michel Lafon (2020). Le français, une si fabuleuse histoire, Éd. Larousse (2020). Sauvons les langues régionales, Éd. Héliopoles (2022).