Jusqu’à la fin de sa vie, Christian Bobin aura manié les mots, ceux qui rassemblent et portent tout. Un dernier livre écrit dans une chambre d’hôpital de Chalon-sur-Saône pour dire cette nécessité de la littérature même lorsque les jours sont comptés et encore plus peut-être durant ce temps. L’écrivain le sait, les mots peuvent apprivoiser jusqu’à la mort. Mais cette fois-ci c’est de lui qu’il s’agit. Il va alors célébrer une dernière fois ce qui l’a porté toute sa vie, comme un hommage à cette mère qui n’appréciant que très peu la musique, le poussa dans les pages des livres, le métamorphosant en écrivain. Un dernier recueil donc comme un murmure, un dernier souffle, indispensable consolation pour ceux qui demeureront.
Avec cette force qui le caractérise et cette prose qui le rend unique, il va donner à ces heures les plus sombres la lumière nécessaire à célébrer sa vie passée et ses souvenirs, permettant une puissante et honnête introspection, un retour à soi sans artifices. C’est un recueil d’une beauté déchirante, car il en faut de la foi pour donner aux portes de la mort une telle puissance à la vie. De cet effacement qui se dessine, l’écrivain ne craint rien à part peut-être de ne pas avoir assez dit qu’il avait aimé : sa vie, sa mère, sa compagne et tous ceux qui durant cette vie l’ont inspiré. En particulier Gregory Sokolov, ce pianiste russe interprète hors pair de Chopin et Haydn traversant et sublimant ces pages et esquissant ce que la musique a pu avoir d’essentiel dans la vie de l’auteur.
La musique faite de respirations, de rythmes et de silences, de temps et de contre-temps et l’on pourrait presque y voir là la partition d’une vie. De cette vie où l’amour fut l’essence de tout. Il y eut celui de Dieu souvent évoqué, mais surtout et avant tout l’amour humain célébré et glorifié, et en particulier celui partagé avec Lydie, sa bien-aimée, capable de survivre au-delà de tout. Et de ces pages qui nous saisissent le cœur, ce murmure résonne alors comme une promesse d’éternité. Avec tendresse et émotion, on observe l’envol d’un homme nous ayant confié pour toujours les clés pour donner à la vie un souffle puissant et poétique.
