dimanche 8 septembre 2024
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Camille Yolaine – J’aime à la folie

Il fait doux, j’attends un peu, mon appareil photo repère les lieux, nous avons rendez-vous devant la librairie Feuilles d’encre, à deux pas du musée Bartholdi. Elle connaît le chemin, nous sommes dans sa ville natale. Lorsqu’elle arrive, ce qui m’atteint, c’est son sourire mégapixels. Sur ses lèvres, « un rouge qui attire le regard ». Cette fille a quelque chose, elle n’est pas belle, elle est pire, dirait Sacha Guitry. Dès le premier regard, on tombe amoureux d’elle. Et en plus, ce qui ajoute au charme, Camille Yolaine a écrit un livre. J’aime (Albin Michel) est son premier roman.

Au compteur des followers, elle affiche 546 000 sur Instagram. Avec un chiffre pareil, on est influenceuse de notre époque, son succès est tel qu’elle a même monté une société, la marque de cosmétiques Yolaine qui habille les lèvres des femmes. Sur les siennes, les mots s’enchaînent naturellement. Elle parle comme elle vit, vite, elle vit comme elle a écrit, dans l’urgence de ses 30 ans. Un moulin à parole, le moulin de son cœur comme le chante Michel Legrand, l’une des nombreuses références aux années 70 et 80 de son roman. Elle trouve dans ces années-là quelque chose de plus sensible, de plus cinématographique, elle a toujours aimé la Nouvelle Vague : « On peut faire pause sur chaque plan, et en fait, c’est une photo », elle dit. Les films de Rohmer, Truffaut, Demy (le nom du chien dans J’aime). Et puis Romain Gary, Ella Fitzgerald, Les demoiselles de Rochefort, les comédies musicales qu’elle chante « tout le temps », c’est sa passion. Aragon, Éluard, sa première claque littéraire, les mots la transpercent. On n’écrit jamais par hasard. Le lien vient de l’origine.

La naissance du désir

La petite Camille a grandi à Andolsheim entre une maman enseignante, un papa architecte d’intérieur, une tante plasticienne, un oncle figure du théâtre Saint-Antoine. La graine de la fibre artistique a été plantée très tôt. Ses parents lui lisaient des histoires. Chaque soir c’était un petit théâtre rien que pour elle et son frère, les personnages s’animaient, Camille était fascinée par le pouvoir des mots, leur sonorité. Alors, pour faire comme son père, jouer des personnages elle aussi, elle a appris à lire très vite, elle a dévoré tout ce qui lui tombait sous la main, des livres pour enfants, Pagnol, même le dictionnaire.

À 8 ans, chez sa tante dans la Drôme provençale, elle a découvert la statue de la Marquise de Sévigné sur la petite place du village de Grignan : « Elle me fascinait. Elle est belle et en plus elle écrit. Pour moi, ça voulait dire que tout était possible ». Elle reviendra à Grignan chaque été de son enfance et participera à des ateliers d’écriture : « C’est là qu’est né mon désir d’écriture, c’était notre Club Mickey. Je me suis sentie très vite chez moi dans cet espace littéraire ».

Et les livres ouvrent l’esprit et le corps sur le monde, alors elle a rêvé de départs, de voyages, d’avions qui décollent :

Je me souviens que j’étais très fière de grandir en Alsace, avec ma famille dans un rayon de neuf kilomètres, mais j’ai eu envie de découvrir le monde. Je me suis installée à Paris assez vite. C’était la ville de tout ce qui me fascinait, les arts, le théâtre, l’écriture, la musique. Paris est un décor qui pousse au meilleur de soi-même.

Après une scolarité très colmarienne, l’Institut de l’Assomption puis le lycée Saint-André, elle s’est installée dans la capitale pour suivre des études littéraires, hypokhâgne et khâgne, un détour par le théâtre et la communication, les photos, les réseaux sociaux, Yolaine Paris. Sa vie connectée. Mais elle n’oubliera pas son rêve de petite fille, son rêve suprême : écrire un livre.

Le premier roman de Camille Yolaine est sorti début mai, c’est un conte cruel sur les jeux d’influence en amitié et sur les réseaux sociaux, où l’admiration n’est que la face cachée de la jalousie. / ©dr

Pour Camille influenceuse, prendre une photo en bas de chez elle tous les jours dans une tenue différente, c’est l’antithèse de la créativité, elle ne vend pas son âme au diable qui s’habille en Prada, malgré toutes les marques qui lui tombent sous la main, elle n’est pas dans le moule des soirées parisiennes. Elle, elle veut écrire. Dans ce monde où les écrivains célèbres ne rivalisent pas une seconde avec les influenceurs en nombre de followers, où il est plus facile de vendre des rouges à lèvres que des livres, elle va le faire. À sa façon. Pas question que l’objet devienne un goodies ou un gadget publicitaire. Ce n’est pas une commande, c’est un désir. Elle s’installe quelques temps, seule, dans un appartement de la Flotte à l’île de Ré, et elle travaille avec la fraîcheur de l’envie et de l’océan.

Le potentiel de j’aime

« Il n’y a rien de plus intime qu’un livre », affirme Camille. Dans son roman, ce qui est intime est ce qu’il y a entre les lignes, car, même si elle ne voulait pas écrire sur l’univers des influenceurs, le sujet s’est imposé, évidemment, pas le choix. Elle a inventé des personnages d’aujourd’hui, Lou Trenet, une fille qui atteint presque un million de followers, une autre fille qui l’admire, la jalousie, la folie jusqu’au drame, et les filles sont belles, et elles ne laissent rien au hasard. Sur la table de nuit de Lou, il y a Belle de jour, parce qu’elle le lit vraiment ou parce que ça fait bien ? Devinez ! À un moment, Camille, dans la peau de Lou, écrit : « Je me sentais moche, à bout de souffle, inintéressante ». On peut compter 500 000 followers et ressentir ça, oui ; pour les jeunes filles qui la suivent sur Insta, c’est difficile à imaginer. Pourtant, dans J’aime, Camille montre l’envers du décor, un matin au réveil sans maquillage, une nuit de déprime, une vie très souvent inconsistante, « en un mot, ce qui me rapproche de Lou, c’est sa fragilité ».

La fille des mots

Une fois terminé, elle envoie son manuscrit chez Albin Michel, un éditeur l’appelle sans savoir qui elle est, il la publie, le rêve est en marche. Avec ce roman, Camille est devenue une autre femme. Plus proche de celle qu’elle veut devenir depuis toujours. C’était une façon de trouver le chemin, un rapport à la vie beaucoup plus doux. Elle deviendra écrivaine, parce qu’elle l’est déjà, elle a en elle cette urgence et cette patience qui définit ceux qui consacrent leur existence à leur art, le charme toujours, et ce truc en plus, ce truc qui ne s’explique pas, mais qui vient de loin :

Au moment de la publication, j’ai vraiment eu l’impression d’avoir en face de moi la petite Camille de 8 ans qui me disait c’est vraiment cool, bravo. C’est ce qui me sauve dans cet univers, car je reviens toujours du côté de ce que j’aime vraiment, de ce que je suis. L’écriture, c’est ce que je suis.

Cet acte essentiel nourrit si bien l’estime de soi, ce qui n’a aucun rapport avec la confiance, ça, elle l’a depuis un moment : « La peur de ne pas être à la hauteur de mes rêves, cette blessure interne s’est refermée directement lorsque le livre a existé. J’ai une impression d’alignement, une définition juste de moi-même ». Elle parle, toujours aussi vite, de la folie d’écrire, de la folie d’être soi, elle est gémeaux, ascendant capricorne, lune en bélier, « en fait, je suis folle, têtue dans ma folie et impulsive », elle sourit.

Camille Yolaine est influenceuse, actrice, entrepreneuse et écrivaine. / ©dr

En fait, Camille Yolaine est infréquentable, mais j’ai aimé son écriture, sa personnalité, sa culture, son visage, son intelligence, son côté Madame de Sévigné des temps modernes. Un jour, elle écrira un deuxième roman, « je suis un peu à la chasse au papillon des idées en ce moment, j’en ai très envie », et une pièce de théâtre qui sera jouée sans doute un été dans la cour du château de Grignan. Et lorsqu’elle postera une photo du spectacle sur Instagram, j’ajouterai un j’aime.

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