La tante maternelle—et marraine—de Simone Morgenthaler, est née en 1926 à Lochwiller. Elle dont la vie est faite du labeur des champs dans la ferme familiale n’a jamais franchi les frontières alsaciennes. Pieuse, elle connaissait bien le Mont Sainte-Odile grâce à sa filleule, et dit un jour : « Nous n’irons pas à Lourdes, c’est beaucoup trop loin ». C’était en l’an 2000, Jeanne ne supportait pas les longs trajets en voiture, mais Simone a décrypté l’appel de sa marraine : elles iraient à Lourdes ensemble, à leur rythme, sans itinéraire prédéfini, au mois de mai.
« C’était formidable cette liberté entre deux femmes de juste rouler entre autoroute et champs », comme Sur la route, de Jack Kerouac, qui avait tant marqué la lycéenne qu’était Simone en 1968.
Des révélations personnelles
D’ailleurs le rêve de Jeanne, « c’était de pouvoir manger un Wecke pendant que je roulais, c’était de l’exotisme pour elle ! Ou son envie de déterrer des plantes partout, elle qui avait jeté son dévolu sur les genêts, elle me disait de m’arrêter, même de traverser l’autoroute ! Je trouve ça touchant l’évasion qu’elle m’a fournie ».
De personnelles à universelles—car il y a aussi un bout d’histoire d’Alsace presque disparue dans chaque phrase de Jeanne, les rituels religieux, le travail à la main, les changements de nationalité, les peurs pendant la guerre, etc…— ses révélations montrent « son côté enfant » autant que « son cerveau brillant » :
« Elle me récitait des poèmes par cœur, de Victor Hugo ou Paul Déroulède, et d’un autre côté m’offrait des cadeaux délirants ! Comme à Lourdes, un tricératops vert fluo à mettre sur un crayon… C’était surréel », en rit encore l’auteure.
Bien réelles en revanche certaines confidences : « Jeanne m’a avoué avoir vu un exhibitionniste… J’ai hésité à le mettre dans le livre, car c’est très intime, et finalement aujourd’hui la parole se libère. Qu’un type se permettent d’aller vers une jeune fille et casser tous ses rêves, peut-être qu’elle ne s’est jamais mariée à cause de ça… »
Simone commence à prendre des notes à chaque arrêt, ici « l’empereur Guillaume au Haut-Koenigsbourg », là « Bernadette Soubirous à Nevers », sans imaginer qu’elles deviendraient un livre. « Je devais bien ça à cette génération qui s’est sacrifiée pour nous, estime-t-elle aujourd’hui. J’aime décrire des choses simples que chacun puisse vivre et sinon imaginer, un partage sur la joie, le deuil, la nature, et ces petits moments du quotidien comme rouler en voiture ».