Le jeudi 8 avril 1982, je présente le journal télévisé de FR3 Alsace et une information nationale nous parvient, sur le télex de l’AFP. Monseigneur Elchinger a fait annuler à la dernière minute les réservations d’une centaine de personnes au foyer catholique, en raison de leur homosexualité. Comme Léon-Arthur Elchinger est de Soufflenheim et Évêque de Strasbourg, cela nous concerne directement, je donne cette information régionale sans vraiment en prendre la gravité, et en prononçant son nom par un Elchingay que je voulais facétieux.
Ce n’est que quelques semaines plus tard, par un procès à l’encontre du prélat, connu par ailleurs pour ses analyses d’ouverture face à l’antisémitisme et son œcuménisme pro-européen, que les journalistes s’indignèrent de ce combat obscurantiste contre l’homosexualité, que l’évêque considérait comme une infirmité.
À cette occasion Pierre Seel, un Mulhousien né à Haguenau, publia une lettre adressée à Monseigneur Elchinger. « Victime du nazisme en raison de mon homosexualité, je ne suis pas un infirme ni suis atteint d’aucune infirmité. » Après quarante années de silence, il raconte alors comment à 17 ans il a été arrêté, torturé, violé et interné à Schirmeck-Vorbruck.
Ce témoignage sur la persécution des homosexuels crée un choc énorme, et je prends conscience de ma méconnaissance de ce pan de l’histoire de la déportation en Alsace. Pierre Seel témoignera dans La marche du siècle de Jean-Marie Cavada et surtout dans l’émission de France Inter Là-bas si j’y suis de Daniel Mermet.
Il entreprendra le récit de sa vie comme un aveu poignant et un pamphlet contre l’humiliation. La description de la perte totale d’humanité au cours des tortures dans le camp de concentration alsacien, et son témoignage sur l’enrôlement de force des Alsaciens dans l’armée allemande me bouleversent. C’est peut-être par manque de connaissance d’autres destinées que l’on n’imagine pas combien une souffrance peut être grande.
« Fantôme je revins, fantôme je restais : je ne devais pas avoir encore pris conscience que j’étais toujours vivant. Je restais seul avec mon secret ». Ensuite, cauchemars la nuit, silence le jour. Personne à qui se confier.
Moi Pierre Seel, déporté homosexuel, 2001, Calmann-Lévy