jeudi 21 novembre 2024
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Simone Morgenthaler – Mardi Gras Fàsnàchtszischdi

C’est à Mardi-Gras que le carnaval atteint son apogée. Dans mon village, à Haegen, les enfants déguisés frappaient aux portes ce jour-là pour demander des œufs et garnir leurs paniers. Ils riaient derrière leur masque en disant : Gàgàck.

Cette onomatopée désigne l’œuf dans le parler enfant. Wìtt e Gàgàck ? Veux-tu un œuf ? Elle est aussi en lien avec le son joyeux de la poule lorsqu’elle a pondu un œuf. D’Hühn gackst signifie : la poule caquète. Avez-vous noté que la poule, en mon alsacien, est au féminin, alors qu’en d’autres régions d’Alsace, le mot est neutre, comme en allemand. Alors, s Hühn lëjt e Ëi ou d’Hühn lëjt e Ëi pour dire que la poule pond un œuf ? Les deux sont justes. Le genre, variable d’une région à l’autre, est parfaitement toléré, et même dans l’air du temps, où le genré fait couler beaucoup d’encre.

Je ne frappais pas aux portes à Mardi-Gras pour « récolter » des œufs, car Maman ne m’y poussait guère. Elle trouvait qu’il était inutile de mendier alors que les poules de notre basse-cour étaient généreuses. Je peux aussi affirmer que je n’ai jamais eu de masque et que je n’en ai jamais porté, ni comme enfant ni comme adulte. Pour mes parents, le masque représentait un superflu. À quoi bon jouer à être un autre ? Mes copains m’effrayaient lorsque je les avais face à moi masqués. C’était perturbant de voir des visages de président de la République (Charles de Gaulle en ce temps-là), de lion, d’ours ou de renard derrière lesquels s’exprimaient des voix familières. Être soi est l’aventure de toute une vie. Et même sans masque, chaque être est si multiple. Rimbaud le savait, qui écrivait « Je est un autre ».

Des œufs à collecter le jour de Mardi-Gras : une réjouissance pour les enfants. / ©S.Morgenthaler

Il y a dans le déguisement la joie de se libérer, de pouvoir agir sans être reconnu. Et c’est bien pour cette purification que les carnavals sont si aimés, notamment en Allemagne où l’on utilise fréquemment cette expression imagée : ich muss die Sau raus lassen (je dois laisser sortir le cochon qui est en moi). Dans ce contexte, l’animal ne symbolise pas seulement une libération de la libido, mais une volonté de se défaire de tous les encombrements qui nous empêchent d’avancer.

C’est en cette période de carnaval que l’on réalise les beignets, savoureux et certes caloriques, mais bienvenus à une période de froidure. Dans la ribambelle qui figurent dans notre gastronomie, mes préférés restent les traditionnels, d’ëinfàche Fàsnàchtskiechle. Faits à base de pâte à levure de bière, ils sont légèrement étirés en leur centre (parfois sur les genoux et pour cette raison on les nomme aussi Kniekiechle, les « beignets-genoux »). Ils rappellent la forme des disques de bois liés à la tradition du lancer de disques enflammés, nommé Schiweschlaawe, un rituel que certains villages, comme celui d’Offwiller, commune des Vosges du Nord, reconduisent chaque année le dimanche qui suit Mardi-Gras (à Offwiller ce sera le 18 février cette année). Ce rituel d’origine païenne a pour but de chasser les démons de l’hiver et d’appeler le printemps à propager sa lumière.

L’année 2024 ne nous simplifie pas la tâche : Mardi-Gras tombe le 13 février. Il sera suivi par le mercredi des Cendres qui correspond au début du carême pour les chrétiens. Le carême commencera donc le jour de la Saint-Valentin ! Jeûner ou ne pas jeûner, tel sera le dilemme. Ce dicton alsacien vous donnera une piste : d’Lieb geht dùrich de Maaje, l’amour passe par l’estomac. Libre appréciation à chacun, selon son…coeur.

La recette de ces beignets, extraite du livre Les meilleurs desserts d’Alsace (La Nuée Bleue) est disponible sur mon site www.simonemorgenthaler.com/
les-beignets-traditionnels-de-carnaval/


 

Les beignets d’Alsace et d’ailleurs par Daniel Zenner. / ©Marcel Ehrhard

Les beignets d’Alsace et d’ailleurs, 30 recettes faciles et gourmandes

Daniel Zenner, auteur de nombreux ouvrages sur la gastronomie alsacienne, également connu pour son savoir-faire de cueilleur et comme expert en plantes sauvages, a regroupé 30 recettes emblématiques de beignets dégustés en Alsace et dans le monde. Certaines formules sont extraites de la tradition familiale, d’autres sont de sa création. « Déposer un aliment dans de la graisse chaude est une des techniques les plus anciennes pour cuire une préparation en lui donnant une saveur agréable, écrit-il. Au creux de l’hiver, nous attendons avec impatience les fameux beignets de carnaval. Après les festins de fin d’année puis la galette des Rois, mais avant les réjouissances de Pâques, ces beignets festifs sont utiles pour affronter les derniers frimas tout en nous procurant énormément de plaisir. »
L’ouvrage vient de paraître.

Textes et recettes : Daniel Zenner
Photographies : Marcel Ehrhard

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