Qu’on se le dise d’entrée de jeu, une après-midi ne suffira jamais, une journée non plus d’ailleurs parce qu’à l’Écomusée, il y a toujours des nouveautés. L’arrivée sur le parking laisse présager que ce sera plus vaste que ce que je pensais, j’ai l’impression de me garer à Europa-Park (les cris des téméraires dans le Silver Star en moins). Je prends mes billets et me présente face à deux grandes portes vitrées qui s’ouvrent pour dévoiler ce fameux Écomusée. Waouh ! J’ai bien fait d’enfiler mes baskets préférées, ce n’est pas un hameau qui s’étend devant moi, mais une véritable petite cité, 80 résidences à visiter, réparties sur 97 hectares de terrain.
Déborah, la chargée de communication, m’a expliqué que tout a commencé dans les années 70 avec un groupe d’étudiants qui décide de préserver et de sauvegarder les bâtiments représentatifs de la région. Vous ne vous levez jamais le matin en vous disant : « Tiens, si je démontais les belles maisons à colombages d’Alsace vouées à la destruction pour les reconstruire ailleurs », eux si ! Une demeure par-ci, une autre par-là, mais c’est que ça prend de la place tout ça. Face au désarroi de cette charmante équipe d’allumés passionnés, la municipalité d’Ungersheim leur offre un terrain. Il est détruit par des années d’exploitation des mines de potasse, mais rien ne freine les étudiants qui reconstruisent une à une les maisons jusqu’à l’ouverture du musée, en 1984. Aujourd’hui, la friche industrielle a laissé place à un véritable village et au retour de la biodiversité avec 4 800 espèces répertoriées ! Chaque maison porte le nom de l’endroit d’où elle vient : Monswiller, Westhouse, Illkirch, Ribeauvillé ou Ittenheim, certaines ont plusieurs centaines d’années et toujours une vraie histoire. Elles ont été habitées, aimées, oubliées, puis sauvées.
Vagues de souvenirs
Il y a deux façons de découvrir l’Écomusée : pour les psychorigides du contrôle, il est possible de suivre l’ordre du plan – prévoyez trois semaines – pour les autres, il suffit de se laisser porter au gré de sa curiosité. C’est ce que je fais, et mes pas me mènent jusqu’au numéro 56, une petite maison en brique aux volets verts.
Il y a de la lumière alors je pousse la porte et suis tout de suite submergée par l’odeur. Ça sent…comme chez mamie ! Un parfum qu’on camouflerait à grands coups de Febreze chez soi, mais qui, à cet instant, est plutôt réconfortant, parce qu’on dirait que mamama est à peine partie. Elle a cuisiné sa soupe, ses lunettes sont sur la commode en bois massif, je pourrais presque deviner sa petite tête coiffée d’une couronne blanche à l’autre bout de la table.
Je sors de ma rêverie empreinte de nostalgie et décide de poursuivre la visite jusqu’à une nouvelle porte qui m’inspire. Je la pousse et tombe nez à nez avec Bruno, le barbier bénévole qui coiffe les visiteurs à l’ancienne. N’ayant pas beaucoup de cheveux sur le caillou, je passe mon tour pour cette fois !
Plus loin, j’entends de la musique, alors je glisse jusqu’à un autre logis. C’est celui de Jean-Claude, le musicien, qui joue de l’épinette des Vosges, un instrument rare qui ne coûtait pas plus que quatre planchettes de bois et cinq cordes de guitare aux paysans d’il y a cent ans. De quoi enflammer leurs soirées dansantes à défaut d’avoir le nez rivé sur la télé. J’écoute un petit concert privé, puis mon estomac se manifeste, ça sent bon la tarte aux pommes.
Je me laisse mener par le bout du nez jusqu’à la maison des goûts et des couleurs, le pâtissier sort les gâteaux du four, ils sont concoctés à partir des produits récoltés dans les champs de l’Écomusée, labourés à l’ancienne par des chevaux de trait. C’est délicieux !
Ici le temps semble s’être arrêté, mais la vie dehors, elle, veut continuer à son rythme effréné. Alors, pour ma dernière activité, je décide d’embarquer sur la remorque d’un vieux Fendt qui part explorer les sentiers. Au démarrage, la bête de fer dégage un épais nuage noir et, second flash-back, me voilà sur l’aile du tracteur de mon père, les cheveux au vent, le fessier malmené par les aspérités de la route, mais quel bonheur ! Et si c’était ça, la vocation cachée de l’Écomusée ? Pousser une porte pour nous faire véritablement voyager dans le temps ? Car chaque maison a son secret et vos souvenirs y seront bien gardés.
Le chiffre : 300
C’est le nombre de maisons à colombages qui sont détruites chaque année en Alsace, selon l’Association pour la Sauvegarde de la Maison alsacienne.
Lucie d’Agosto Dalibot