jeudi 25 avril 2024
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Bernard Fischer – Le goût des autres

Il n’oublie jamais d’où il vient, il en est même très fier. Fils de paysans, Bernard Fischer a gardé de ses jeunes années l’envie du travail et du partage. Depuis 22 ans, il est le maire de la deuxième ville la plus visitée du Bas-Rhin. Avant les beaux jours, de l’organisation des Estivales et de l’Ultra-trail (UTMB) à Obernai, il est notre invité de la semaine.

Pour un maire, c’est certainement un minimum, mais vous donnez vraiment le sentiment d’aimer passionnément votre ville !
Oui. À Obernai, qui compte 12 000 habitants, nous avons développé des relations de proximité avec les dirigeants d’entreprises, les associations, chez nous c’est du direct, c’est un courriel, un SMS. La ville est bien située, au pied du Mont Saint-Odile, sur la route du Champ du feu, la route du Vin, nous avons cette chance, et puis de grandes entreprises comme Hager ou Kronenbourg se sont installées ici et ont boosté le territoire. Il y a aussi la présence de ceux qui ont entrepris, je parle de grandes familles comme Stoeffler ou Wucher pour ne citer qu’elles. Les bonnes gestions successives depuis longtemps nous ont permis de mettre en place des équipements. Certaines villes de 20 000 habitants n’ont pas nos infrastructures. Ici, les gens peuvent s’épanouir, et ça, on me le dit souvent, c’est une force pour la ville. Il y a aussi une belle intercommunalité, avec une bonne entente entre les élus, une intelligence partagée, car nous avons compris depuis vingt ans que l’on n’est pas concurrents, mais complémentaires. Je résume en disant qu’Obernai a énormément d’atouts, et quelques faiblesses que nous essayons de corriger, comme le stationnement. Mais je rappelle que ce sont les conséquences d’un afflux très fort venu de l’extérieur. Tout le monde ne marche pas à pied, ne se déplace pas encore à vélo même si cela avance considérablement, mais il y a bien des villes de France de notre taille qui aimeraient avoir la moitié de notre dynamique économique et qui serait bien contente d’avoir ce genre de problème de stationnement.

Obernai c’est votre vie. Que signifie aujourd’hui pour vous d’être maire d’Obernai ?
Je le vis d’abord comme une chance. La ville, comme disait Jacques Monod, c’est le hasard et la nécessité. La vie, c’est de temps en temps de belles rencontres, avec des déceptions, mais surtout de belles rencontres. Et puis, je suis un grand nomade, puisque natif de Rosheim, j’ai réussi à migrer jusqu’à Obernai, j’ai fait 6 kilomètres (rires), c’est quand même extraordinaire.

C’est par la pharmacie que vous êtes arrivé ici !
J’étais le seul fils de paysans en fac de pharmacie en 1973, j’ai fait mon stage à la pharmacie centrale d’Obernai, et puis, en 1982, François Mitterrand venait d’être élu président de la République, le ministre de la Santé voulait nationaliser les professions de santé, c’était un autre contexte, on avait une inflation de 15,2 % et moi je courais des banques, j’avais 20 000 francs et je voulais 4,5 millions pour racheter la plus grande pharmacie d’Obernai. J’ai eu la chance, ce qui n’existe plus aujourd’hui, qu’un banquier me suive, ça a été difficile, mais j’étais tenace, il m’a financé à 100 %, ce qui fait qu’à 26 ans et demi, j’étais le plus jeune pharmacien installé en Alsace, et le plus endetté.

Vous étiez pompier aussi !
Oui, capitaine des sapeurs-pompiers, pendant treize ans, j’ai formé tous les sapeurs-pompiers du piémont des Vosges, j’étais aussi dirigeant d’une association sportive.

Je vous coupe pardon, mais, vous avez soigné les gens avec la pharmacie, sauvé les gens en étant pompier, maintenant vous êtes maire. Finalement c’est très logique ?
Je suis entré au conseil municipal en 1989, j’ai été premier adjoint en 1995, en 98, j’ai été élu conseiller général sur le canton d’Obernai, j’étais le plus jeune du département. En 2001, je me suis présenté aux élections municipales. Il y avait quatre listes, nous avons gagné au premier tour avec 54,5 % des voix. Je me suis rapidement posé la question, c’est quoi la réussite? C’est d’être heureux et de rendre les autres heureux. La réussite, ce n’est pas le pognon. Je n’ai pas vécu mon élection de maire comme une réussite dans le sens d’un ascenseur social, car c’était déjà fait, j’étais déjà pharmacien. Je sentais que nous serions élus au premier tour, je me souviens d’avoir dit à mon équipe trois jours avant, on ne sautera pas plus de joie que cela, on sera heureux, mais après on fera le job. Nous l’avons fait et nous le faisons toujours, avec beaucoup d’audace.

Comme vous faites presque l’unanimité, à ce moment de l’interview, j’ai envie de vous demander quel est votre plus grand défaut ?
J’en ai, comme tout le monde, mais je les cache (rire). Je marche sur deux pieds, la bienveillance et l’exigence, mais le défaut de l’exigence, c’est l’impatience. Cela vient peut-être de mon éducation, ou de ma non-éducation de paysan, on ne m’a jamais dit qu’il fallait dire bonjour et au revoir, je l’ai fait d’instinct et logiquement, car on avait 80 familles qui cherchaient le lait chez nous à la ferme, j’ai dit bonjour dès que j’ai su parler. Dans une ferme, on s’éduque tout seul, c’est le bon sens paysan, etc. J’ai toujours beaucoup travaillé avec mes parents, on mangeait en cinq minutes, il fallait bosser, hop hop hop, rapidement, j’ai sans doute gardé ce défaut, je veux que les choses avancent quelques fois un peu plus vite qu’elles ne peuvent. Et puis, deuxième défaut, je suis bien organisé, et paradoxalement je reconnais un côté un peu brouillon.

En quoi votre passé de paysan a été important dans votre carrière ?
Je m’interroge énormément sur la trajectoire de l’humanité. Je suis extrêmement sensible sur aux problèmes de l’environnement en 73/74, en fac de pharma, j’étais le seul en sortant des cours qui m’émerveillaient, à me retrouver sur de gros tracteurs avec des épandeurs d’engrais et des pulvérisateurs. J’ai pris conscience très vite que nous ne prenons pas le bon chemin. Le consumérisme s’accentuait considérablement, nous étions un peu plus de 2 milliards d’habitants sur terre. J’ai toujours eu cette sensibilité et cela a imprégné ma vie publique. Il faut développer, installer des entreprises, mais en même temps ne pas consommer excessivement. Cela m’a aussi sensibilisé pour participer à la construction d’une station d’épuration à Meistratzheim, qui est encore aujourd’hui la plus performante de France, où l’on produit de l’électricité depuis onze ans à partir des effluents de jus de choucroute. C’est une grande chance d’avoir été un fils de paysans, qui a dû bosser dur depuis l’âge de 12 ans, qui n’a jamais eu un jour de vacances avant ses 18 ans. Plus tard, je me suis rendu compte que j’avais eu une chance inouïe de vivre une jeunesse de durs labeurs, avec des parents exigeants. Mais on était heureux, fondamentalement heureux. Ce sont les épreuves qui font grandir, mais évidemment, il est moins compliqué de les traverser, lorsque l’on est bien entouré, lorsque l’on aime, lorsque l’on est aimé.

Vous étiez un enfant heureux, vous l’avez dit, êtes-vous un homme heureux ?
Oui. Mais comme le chantait si bien Renaud, il m’est difficile d’être heureux quand je sais qu’il y a autant de malheur autour de moi.

Quelle image souhaitez-vous que l’on garde de vous à Obernai ?
Quelques combats. Je me suis battu, ici les gens le savent, avec une ténacité inouïe envers les instances qui étaient à l’époque l’Agence nationale d’hospitalisation et l’Agence nationale de santé pour arracher la construction d’un nouvel hôpital. Je n’ai rien lâché. Lorsque j’aurai terminé ma vie publique, j’aurai juste le sentiment du travail bien fait.

Le chiffre : 1

Le site d’Obernai et des Terres de Saint-Odile accueille un million de touristes et de visiteurs chaque année.

Pour la petite histoire

Le maire d’Obernai est aussi musicien. Il a gratté la guitare dès l’âge de 13 ans, avant d’entrer dans un orchestre de bal populaire et de payer avec ses cachets l’essentiel de ses études. Plus tard, il accompagnera Alain Chamfort sur scène pendant toute une tournée.

Propos recueillis et rédigés par Éric Genetet

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