9h tapantes, Philippe Heimburger m’attend déjà devant la société avec à côté de lui, sur le mur dès l’entrée, un gigantesque logo bleu et blanc représentant sa grand-mère et le nom de la marque. Les présentations faites, il me tend mon tablier et une jolie charlotte à casquette que j’enfile rapidement. Je ne manque pas de lui souligner mon étonnement quant à la superficie de son entreprise qui semble s’étendre à l’infini. « Si vous saviez ! Mon grand-père Robert a commencé avec un petit appareil manuel, il était boulanger de formation et faisait quelques pâtes avec la chaleur résiduelle du four », me lance-t-il.
De cette époque, il ne reste plus grand-chose si ce n’est, à l’entrée des bureaux, ladite machine, qui relève plus de la relique de musée ! « Dans les années 30, on a vite parlé de l’artisan qui improvisait quelques nouilles au fond de sa boutique, il avait tout ce qu’il fallait sous la main, avec le moulin de son père juste à côté pour développer cette affaire, alors comme c’était juste après la guerre, il a acheté des machines à pâtes que les Allemands avaient laissées derrière eux à Strasbourg et s’est lancé! ». Une fois entouré de ses premiers employés, Robert Heimburger obtient la dernière licence de France délivrée pour fabriquer des pâtes et c’est ainsi que l’entreprise est née !
Le flash-back des trente glorieuses est interrompu par les manœuvres d’un gigantesque camion qui décharge des tonnes de semoule dans une série de silos. « Ce blé vient d’un champ à 300 mètres », m’indique Philippe avant de s’engouffrer dans l’usine. C’est un véritable dédale, je trotte pour le suivre et improvise des dérapages sur le carrelage lustré. Nous glissons entre différentes cuves, l’une contient la semoule, l’autre les œufs, je regarde par le petit hublot, il y a de quoi faire la plus grande omelette du monde là-dedans ! Mais non, pas de record pour aujourd’hui, la précieuse production des poules va être incorporée à la semoule. « Venez voir ! », me lance Philippe qui s’engage dans des escaliers en métal qui surplombent l’exploitation.
La combinaison de ces produits a donné une pâte qui est battue en continu par de gigantesques bras mélangeurs. Nous redescendons, avançons de quelques mètres, et là, mes origines italiennes prennent le dessus, il y a des pâtes PARTOUT, de toutes les formes et de toutes les couleurs ! Des milliards de spaghettis tombent du ciel et, aspirés par une force invisible, «pfiout !», ils filent vers le séchage, des milliers de macaronis défilent sous mes yeux ébahis, je suis au paradis des estomacs sur pattes. D’ailleurs, comme un chien face au jouet maintenu devant son nez, je reste bloquée devant le procédé de création des pâtes nids. Elles tombent dans des tuyaux de verre, toutes droites, et par un système d’aspiration ultra rapide, elles s’ondulent comme les cheveux dans la pub du boucleur Dyson hors de prix que j’ai demandé en cadeau de Noël.
Philippe me tire de mes rêveries juste avant que je ne commence à trop saliver, nous laissons la chaleur et le doux parfum de cuisson derrière nous pour rejoindre la ligne d’emballage et les quais de chargement. Ici, hommes et robots cohabitent, des machines soulèvent des plateaux de pâtes, d’autres font glisser l’or jaune dans des sachets et au bout de la chaîne, de petites mains empilent les paquets dans des cartons pour leur livraison.
C’est sur ces montagnes de boîtes que j’abandonne mon hôte, il m’a confié un paquet de spaetzle que je vais m’empresser de cuisiner, comme ma grand-mère le fait si bien !
L’info en plus
Après avoir enduré la crise sanitaire et subi la hausse des prix et difficultés d’approvisionnement, Philippe Heimburger a décidé de lever le pied, l’âge de la retraite approchant, et de vendre l’entreprise il y a un an à Alpina Savoie. Une décision qu’il ne regrette pas, et pour le moment, il est encore là !
Pour la petite histoire
Depuis quand les pâtes existent-elles ? D’après un traité mésopotamien retrouvé par les archéologues : 1700 av. J.-C. ! « Et en plus, la recette ressemble beaucoup à celle des spaetzle », ajoute Philippe H. !
Lucie d’Agosto Dalibot