jeudi 25 avril 2024
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Chabrol tire une balle dans la tête d’Orson Welles à Obernai

Printemps 1971, Claude Chabrol descend de voiture, le guide Michelin en main. Il a quitté Obernai pour Grendelbruch, et à l’entrée de Bœrsch il interpelle un cycliste qui a l’air un peu pompette, ce qui est bon signe, pour lui demander le meilleur restaurant des environs. Le cycliste c’est Paul Eckert, le critique cinéma des Dernières Nouvelles d’Alsace, qui fait une quasi-apoplexie en reconnaissant le grand maître du cinéma.

Direction l’auberge. Chabrol ne connaît pas cette tradition gastronomique ancestrale que l’Alsace vient de réinventer, la tarte flambée, il l’imagine au calvados, au cognac, au marc de gewurtz ou au schnaps, ben non, ce sont des lardons un peu cramés à la flamme du feu de bois. Le cinéaste explique au journaliste qu’il va tourner ici son plus grand film, le 24e de sa carrière ( il va fêter ses 41 ans ) et qu’il cherche des paysages à l’ambiance provinciale pour une histoire d’amnésie et de jalousie. C’est la Décade Prodigieuse et Paul se démène comme un chef, il organise la visite du château Léonardsau et vante le romantisme de la Holtzelstuckerweg vers Ottrott.

Chabrol débarque l’été venu avec Orson Welles, qui porte un faux nez et fait installer dans la villa louée d’un beau quartier le courant 380 volts pour la table de montage de son film Don Quichotte. Tous les figurants obernois de la Décade Prodigieuse tombent amoureux de Marlène Jobert. Anthony Perkins et Michel Piccoli rivalisent dans leurs jeux de traîtres. Karl Lagerfeld invente des costumes baroques. Et Chabrol reconnaissant offre à Paul Eckert un rôle de chef, celui de la patrouille des scouts de Rosheim. L’ancien scout Michel Rocard, avec qui Chabrol était à l’école primaire, donne des conseils.

Orson Welles énerve Chabrol car il déniche lui-même les meilleures auberges où il dévore des côtes de bœuf à la tyrolienne, l’Alsace et l’Autriche étant un peu la même chose vue d’Amérique. Comme toujours chez Chabrol, il y a une séquence à table où l’on entend Welles, qui est un richissime patriarche, déclarer son amour pour la région d’Obernai : « avec ma fortune, j’ai pu choisir l’endroit où je voulais vivre… c’est ici ! » On apprend que c’est lui qui y a construit après-guerre l’hôpital, la bibliothèque et l’école.

Mais on s’ennuie sur le tournage, comme plus tard les critiques en voyant le film. Chabrol en a marre de la tarte flambée, il a l’esprit ailleurs, il courtise la belle Aurore et décide avec son scénariste Paul Gégauff d’en finir, en tournant une fin sinistre. L’histoire prodigieuse se termine avec Orson Welles, le héros alsacien, se tirant une balle dans la tête.

Ambroise Perrin

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