Vous êtes née en 1958 à Bayonne, et pourtant, vous avez vécu une belle histoire avec l’Alsace. Comment êtes-vous arrivée là ?
J’étais encore élève conservateur et j’effectuais un stage au musée de Castres, on préparait une exposition sur Picasso. On est venu chercher un buste de femme, ici à Colmar, on est parti à 4h du matin pour avoir le temps de voir le Retable. Bien plus tard, quand le poste s’est libéré, j’ai postulé. Je ne connaissais pas l’Alsace, rien ne m’attirait vers l’Est.
Mais dès votre première rencontre avec le Retable, il s’est passé quelque chose ?
Oui. Vraiment. Je me souviendrai toujours de ce moment. Je suis restée assise sur le petit banc, deux heures sans bouger. J’étais devant une œuvre absolue. Un truc qui me dépassait et sur lequel je n’arrivais pas à mettre un mot. Je crois que la vraie raison de mon désir de m’installer à Colmar, c’est le Retable.
Croyez-vous à ces histoires de réincarnation ? Vous avez peut-être déjà vu le retable dans une autre vie ?
Non, je n’y crois pas. Il y a une quinzaine d’années, j’en ai parlé avec un pasteur alsacien un peu fou qui maintenant vit en Suède, il revient de temps à autre voir le retable, c’est la seule personne qui m’a parlé du syndrome de Stendhal devant le retable.
Mais rares sont ceux qui ressentent autant de choses que vous. On ne reste pas devant le Retable, comme on peut rester devant La Joconde ou L’origine du monde par exemple. Peut-être que vous n’avez pas envie d’y croire, mais que quelque chose a existé néanmoins ?
Peut-être oui, peut-être ! j’ai tellement l’impression que cela résonne chez tout le monde. Il est vrai que je la voyais tous les jours… à priori, on se dit que c’est une œuvre religieuse, alors pourquoi on s’accrocherait à cela ? Je ne sais pas. Elle est pleine de paradoxes cette œuvre, on pourrait se dire c’est du passé, ça ne me raccroche à rien, alors que c’est tout le contraire.
Vous avez publié des ouvrages sur le Retable, et j’en ai été le témoin, lorsque vous racontez son histoire, j’ai le sentiment que vous le faites avec la même passion depuis de nombreuses années !
Oui, je pense. Lors d’une de mes dernières visites, j’avais des terminales de Colmar qui effectuaient un travail sur le patrimoine, et c’était intéressant de leur demander ce qu’était pour eux la notion de patrimoine. La moitié avait déjà vu le Retable plus jeune, ils n’étaient pas très bavards, mais c’était intéressant, parce que je comprends très bien. Je suis certaine qu’en sortant il les a emmenés assez loin.
Sa restauration qui a commencé en 2011 a été très compliquée à mener !
Oui, je m’en suis pris plein la gueule. Alors que l’avis de la commission de restauration avait donné un avis favorable, deux jours après le début de la restauration, il y a eu un papier dans la Tribune de l’art, et aussi dans Libération, qui disait qu’il ne fallait absolument pas toucher à cette œuvre, qu’il ne fallait pas la restaurer, que c’était n’importe quoi. La terre entière est venue me demander ce que j’étais en train de faire, ma direction m’a vraiment lâchée. Mais, je savais qu’il fallait la restaurer et j’avais confiance. Aujourd’hui, la restauration du Retable fait l’unanimité, et elle reste le souvenir le plus fort de ma carrière.
Et l’extension et la rénovation du Musée Unterlinden, ce sont d’autres moments importants ?
Oui, bien sûr. Ça, c’est vraiment 10 ans de boulot, car il faut écrire le cahier des charges à l’avance, et ne pas se tromper. J’ai été têtue, et c’est vrai que, quand j’étais persuadée que cela pouvait aider le musée, que cela pouvait aider l’œuvre, je suis allée jusqu’au bout.
Vous venez de prendre votre retraite, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Au mois de décembre, alors que je n’en ai jamais eu de ma vie, j’avais de l’eczéma partout. J’ai beaucoup procrastiné sur le rangement de mon bureau, ça fait bizarre, même si j’ai des centaines de projets. Je vais écrire des articles, je siégerai au Haut Conseil des Musées de France, et je suis depuis quelques mois présidente de la Société d’Histoire de Colmar.
Vous allez rester en Alsace ?
Oui, je me suis posé la question, toute ma famille est à Bayonne, mais je reste là, mes amis sont ici, et puis je peux aller facilement à Bâle, Zurich, Strasbourg, Paris ou Karlsruhe où il y a tout le temps des expositions. J’aime bien les Alsaciens, ils sont comme les Basques, de vraies têtes de mules fières de leur patrimoine et de leur histoire, une histoire qui me touche beaucoup.
Eric Genetet