La première fois que je me suis trouvée face à des morilles, c’était au printemps 1997. J’avais oublié de butter –c’est-à-dire de couvrir de terre– la plate-bande de pissenlit pour lui permettre de jaunir et de perdre son amertume. Comme les fleurs montaient en graines, j’ai décidé de déterrer le pissenlit. En enfonçant la bêche dans la terre, j’ai cru rêver : j’avais quatre grosses morilles à mes pieds. J’ai d’abord pensé avoir la berlue tant cette vision me parut irréelle. Mais il n’y avait pas de doute, ces cônes foncés, alvéolés, sur pied blanc, étaient bien ces champignons qui s’étaient jusqu’alors cachés à mon regard. J’avais espoir de pouvoir revenir à la source l’année suivante. Mais les morilles ne sont jamais revenues.
Parmi les récits que l’on me fit sur les morilles d’Alsace, figure celui d’Isabelle Brunner de Sessenheim qui a grandi à Auenheim en bordure de la Moder. En mai 1998, lorsqu’elle fut mon invitée dans l’émission Sür un siess, elle raconta que son grand-père, Michel Bohn, fut pêcheur professionnel à Auenheim. Le meilleur mets que l’on pouvait lui servir était la matelote aux morilles, un repas de fête généralement préparé au printemps lorsque les morilles étaient à maturité. Elle précisa qu’on pouvait les trouver à partir du Seppelesdaa (à la Saint-Joseph, le 19 mars). Elle connaît les différentes variétés : la blonde, la noire, la conique, le morillon. Fin mars arrive le morillon, qui a un pied haut et un cône noir, nommé Pfàffekappel en alsacien, ce qui signifie « bonnet de curé ». En mai arrive la morille plus grande, moins noire nommée Maimorichel. Elle m’a donné la recette ancienne de cette matelote qui associe les morilles aux poissons d’eau douce, inscrite dans l’histoire des villages de pêcheurs du Nord de l’Alsace.
Il y a cinq ans, Anne Oberlé, une voisine de mon village d’enfance, m’annonça enthousiaste qu’elle avait pour la première fois de grosses morilles par dizaines dans son jardin. Parmi les feuilles mortes qui jonchaient son jardin de fleurs, elle a vu des taches sombres qu’elle n’identifia pas de suite, car elles se mêlaient au brun des feuilles desséchées et à l’écorce de bois posée en cet endroit. Beauté divine ! Il s’agissait bien de morilles, nombreuses et fort grandes, qui affichaient leurs têtes avenantes. Anne Oberlé m’en offrit quelques-unes que j’ai transformées le même soir en sauce. Pour cela, j’ai fait revenir une échalote dans un peu de beurre. À blondissement, j’ai ajouté les morilles égouttées. Je les ai laissées, à découvert, rendre leur eau et la laisser s’évaporer en partie avant d’ajouter de la crème fraîche dans laquelle je les ai laissées bouillir pendant quelques minutes. Pour une recette ultra simple, on peut aussi simplement faire bouillir les morilles dans de la crème fraîche.
En 2017, le cuisinier Jean-Luc Timmel, originaire de Hatten, qui travaille dans le Palatinat, à Kandel, à l’Hôtel Zur Pfalz , m’a narré qu’il aimait chercher des morilles le long du Rhin à partir de la fin mars jusqu’à la fin mai. Il les sert dans une sauce à la crème pour accompagner une viande de veau ou de volaille.
Marylou Metzger de Kilstett a inventé quant à elle une recette qui réunit asperges et morilles dans une sauce béchamel parfumée à l’ail des ours. Originaire de Plobsheim, elle m’a raconté que son grand-père, Alfred Schmitt, ramassait au printemps de grands sacs en toile de jute remplis de morilles fraîches qu’il apportait à l’hôtel-restaurant Maison Rouge, place Kléber à Strasbourg. Ce joyau d’architecture typiquement wilhelmien fut démoli en 1973 et remplacé par un hideux centre commercial. Lorsque je passe devant ce bâtiment, je ne peux m’empêcher de penser que le grand-père de Marylou venait là déposer ses sacs de morilles dans les cuisines de ce qui fut un haut lieu de Strasbourg.
Les recettes mentionnées se trouvent sur www.simonemorgenthaler.com
L’info en plus
Vous pouvez conserver les morilles durant trois jours au frais avant de les cuisiner. Veillez à bien sortir les éventuels grains de sable et impuretés de leurs alvéoles en les passant sous l’eau ou en les trempant rapidement dans un peu d’eau (éventuellement légèrement vinaigrée). Il est important de savoir que crues, elles sont toxiques. Il faut quinze minutes de cuisson pour ôter tout risque, ce qui n’est pas nécessaire lorsqu’elles sont séchées. Pour les cuisiner, laissez-les entières ou découpez-les.