Vous avez écrit à quatre mains un roman qui parle des relations familiales, les ambitions, les réussites et les tragédies sur plusieurs générations, du passé parfois trop lourd dont il faut se défaire, mais dans les familles c’est compliqué, les non-dits ont du talent. Comment avez-vous travaillé ?
Aurélien Benoilid : Pendant quatre ans, on a mis en place une sorte de rituel, des moments dédiés au livre dans la semaine, des moments dédiés aux mouvements du corps et à l’échange, soit on marchait, soit on courait, des moments très fertiles aux idées. Et puis la rédaction s’est faite naturellement, mais je pense que notre complicité fait que l’on a écrit d’une seule voix. En termes d’aventure humaine et d’activité littéraire, c’est très exaltant. À deux, on a la capacité d’aller plus loin.
Maud Nisand : Les secrets de famille, ce qui se transmet sans être dit, le déterminisme au sein des familles, la dynamique du clan sont des sujets sur lesquels je travaille depuis fort longtemps, sur lesquels nous échangeons depuis vingt ans. Après j’ai eu l’idée de la métaphore de la danse et Aurélien celle de l’Opéra Garnier, un décor magnifique pour un livre.
Vous avez réuni de la documentation ? Vous connaissiez l’Opéra Garnier ?
MN : Oui, nous l’avons visité plusieurs fois, nous avons acheté de nombreux livres. Nous avons inventé la petite histoire, mais la grande histoire, notamment la partie sur la rafle du Vel’ d’Hiv, est très documentée.
AB : Il y a des choses que l’on a eu besoin d’aller vivre. Nous sommes allés à Verdun avec nos enfants, pour aller sentir la terre qui a tremblé, et aussi parce que cela fait partie de notre histoire à Maud et moi. Nous sommes allés en Pologne, c’est une forme de documentation qui va à la recherche du réel pour en faire un roman. Nous avons découvert des trésors d’archives absolument magnifiques, des tranches de vie incroyables et nous avons emprunté des éléments d’inspiration à nos histoires respectives, peut-être même beaucoup, cette histoire est issue de nos histoires, que ce soit relatif au judaïsme ou au clan familial.
Il y a cette phrase importante page 25 : Tout ce qui est tu, tue. Vous pouvez en parler ?
AB : C’était le titre du livre, mais nos éditeurs nous ont dit : jamais de blague ou de jeu de mots dans un titre.
MN : Il y a un super secret parce que c’est un roman, mais cela existe dans toutes les familles en fait, c’est parfois juste ignoré, quand la génération d’avant ne parle pas. Les conséquences du silence existent pour la génération d’après, y compris concrètement dans le corps. Aller chercher de ce côté-là, c’est salutaire.
Qu’avez-vous mis de votre couple dans le livre ?
MN : La volonté de transmettre. C’est notre motivation.
AB : Nous avons offert un livre à chacun de nos enfants en leur disant que, si un jour cela les intéresse d’en savoir plus sur notre histoire, ils peuvent s’y référer s’ils le souhaitent.
D’ailleurs, ils sont dans les remerciements à la fin. Je trouve que l’on sent votre histoire d’amour jusque dans ces remerciements écrits très joliment !
MN : C’est un livre sur le déterminisme, l’héroïne est empêchée. L’idée est de transmettre à nos enfants l’idée que l’on est tous investis, qu’il le faut.
Et qu’il faut danser sa vie ? Écrire ce roman était aussi une façon symbolique de danser encore ? Un autre symbole, l’étoile que l’on retrouve dans le titre ?
MN : Le titre est venu après, nous ne sommes pas partis sur l’idée de jouer avec la métaphore sous des angles différents, mais oui il y a l’étoile qui est au centre, qui brille, et qui empêche les autres d’exister, ça, c’est le sujet familial. Le trauma génère aussi des moteurs et des destinées extraordinaires qui se sont forgées dans le dur.
AB : Il existe la thérapie des constellations familiales, ce n’est pas pour rien. Il y a des astres, ou désastres c’est à vous de choisir, des astres qui sont parfois tellement lumineux qu’ils empêchent de briller, d’exister. Alors, comment exister dans un ciel étoilé ? Évidemment, pour nous, l’étoile est aussi la dimension symbolique du judaïsme et la dimension traumatique de celles qui sont cousues sur les vêtements.
Votre livre arrive après le 7 octobre. En France, l’antisémitisme a explosé…
MN : J’ai été élevée dans une famille où l’on a toujours expliqué que l’antisémitisme était extrêmement présent, ce n’est pas une grande découverte. Je ne l’ai pas forcément vécu dans mon quotidien d’enfant, mais là, on le vit c’est vrai. On l’avait vécu au moment de nos études avec Aurélien, on s’est d’ailleurs rencontrés autour de notre combat. La lutte contre l’antisémitisme et le racisme nous a réunis dès le départ, cela sera le combat de notre vie. Le 7 octobre ne génère pas d’empathie, mais des actes antisémites, et cela s’est déjà produit.
AB : Le 7 octobre va probablement générer des écrivains qui vont avoir besoin de raconter des histoires, c’est tellement traumatisant qu’il est parfois nécessaire de faire un pas de côté.
Des écrivains, des hommes et des femmes engagés, c’est ce que vous êtes ?
MN : On n’a pas le choix. Lorsque je suis allée à Auschwitz il y a quelques mois, je me suis dit que c’est ce l’on doit : parler, écrire.
AB : Dans le livre, on dit que le destin c’est le passé. Cela ne veut pas dire que les choses ne peuvent pas changer, mais si l’on imagine que le destin est une force qui meut les gens dans une direction, cette force-là a été déterminée, si l’on veut la comprendre il faut regarder derrière et pas devant.
Qu’est-ce qui fait briller les étoiles ?
MN : La volonté de devenir libre.
AB : Et de danser !