Vous continuez de passer deux jours par semaine dans votre hypermarché de Fessenheim, tout en étant PDG de Système U, c’est un atout ?
DS : Je suis un patron opérationnel. J’ai besoin du magasin, c’est mon entreprise, j’adore mes clients, j’adore mes collaborateurs. Mes collègues m’ont choisi pour mener le groupement parce que je leur ressemble, je suis comme eux, j’ai les problématiques d’un chef d’entreprise.
Vous leur ressemblez, cela veut dire que vous croyez en votre magasin comme lieu de rencontres sociales ?
DS : Complètement. Nous croyons au commerce physique, au commerce vivant, au commerce lieu de vie. À Fessenheim, le dernier bar du village a fermé. Maintenant, les gens viennent boire leur café et prendre un croissant du matin chez nous ! La moitié de nos 1700 magasins sont situés dans des communes de moins de 5000 habitants. Nous travaillons avec des producteurs locaux, c’est notre marque de fabrique. Être un patron indépendant inscrit dans le territoire, ce n’est pas être un directeur parachuté pour deux ans et qui après passe à autre chose.
C’était votre ambition d’être à la tête du groupement national ?
DS : Pas du tout. Cela s’est fait par la force des choses. La règle c’est que l’on s’implique dans la vie du groupement qui est dirigé par des patrons de magasin, c’est ce que j’ai fait dans un premier temps, et en 2009 quand s’est posée la question de la présidence de système U dans la région, les collègues m’ont choisi. Je n’avais pas du tout cela dans la tête, pas du tout. Et puis, au moment du départ à la retraite de mon prédécesseur, encore une fois le choix s’est porté sur moi.
Vous en aviez envie ?
DS : Si tu n’en as pas envie, tu n’y vas pas. Mais c’est un fonctionnement très démocratique, basé sur la confiance.
Et cela fait maintenant cinq ans de présidence. Qu’est-ce qui a le plus changé en vous depuis cinq ans ?
DS : En fait, je suis le président des crises. Gérer un bateau de cette ampleur, de crise en crise, m’a endurci. C’est peut-être cela qui a changé.
C’est positif ?
DS : Oui, parce qu’il faut faire face à chaque fois. En fait, je suis assez à l’aise dans la gestion de crise ; je ne les souhaite pas, mais je suis à l’aise quand elles arrivent. Cette pression qui est là, cette nécessaire réactivité au quotidien… J’aime aller au combat et trouver des solutions, faire en sorte que le groupe résiste à tout ça.
En parlant de crise, on est en plein dedans, les prix sur l’alimentaire ont augmenté de 21,2% en 2 ans. Vous avez déclaré qu’ils ne reviendront pas au niveau d’avant la crise. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
DS : Les matières premières, les emballages, le carburant et l’énergie ont augmenté de manière massive depuis le début de la guerre en Ukraine. Si certaines de ces matières ont commencé une trajectoire à la baisse, ce n’est pas le cas de toutes. C’est ça le sujet. En revanche, ce que l’on essaye de faire, avec beaucoup de difficultés, c’est obtenir des baisses de prix, c’est le combat que l’on mène actuellement, nous voulons ouvrir les négociations commerciales avec les grands industriels, mais, nous n’arrivons pas à le faire, malgré la pression du gouvernement. De notre côté, nous avons fait énormément d’efforts pour accompagner les Français, nous étions les premiers à démarrer et cela va continuer toute l’année ; par exemple, chaque semaine nous proposons quatre fruits et légumes à prix coûtant, il y a aussi une offre sur la fidélité qui est plus que jamais renforcée.
Mais les citoyens achètent moins de produits frais traditionnels comme les fruits et les légumes, puisque c’est plus cher ; ils se nourrissent moins bien. C’est un vrai problème, un vrai danger. 32% des habitants du Grand Est ont sollicité une aide financière auprès de leurs amis ou de leur famille au cours des 5 dernières années ! Que vous inspirent ces chiffres ?
Je ne suis pas surpris, la France est coupée en trois. Un sondage récent annonce que 78 % des Français se serrent la ceinture. Il y a ceux qui ont de vraies difficultés de pouvoir d’achat, une vraie pression, qui sont dans la restriction et nous les croisons tous les jours dans nos magasins, certains sautent des repas. Il y a un tiers des Français qui a changé de comportement et seulement 22 % qui sont à l’aise, qui ne regardent pas les étiquettes et qui ont le pouvoir d’achat.On suit cela de très près, parce que c’est inquiétant. Les gens changent de comportement, ils vont à l’essentiel, le non alimentaire est complètement arbitré, les grandes marques se vendent beaucoup moins au profit des marques distributeurs. Et puis, ils changent aussi de comportement pour la planète.
Des enseignes comme U ne sont-elles pas à la fois le symbole de notre société qui a perdu ses repères, un terrain pour comprendre pourquoi, et améliorer les conditions de vie de chacun ?
Je suis souvent invité par les médias nationaux parce que, lorsque je viens, je parle de ce que je vois sur le terrain, je parle en connaissance de cause. Nous sommes au cœur du territoire, mais attention, nous ne sommes pas les seuls, il y a un excellent boulanger au cœur du village à Fessenheim, et un boucher pas très loin, on vit ensemble dans cette proximité-là.
En 2022, vous avez publié un livre, Le bonheur est dans le pré. Pour quelle raison ?
C’était une révolte en fait. Pendant la crise du Covid, nous avons été salués, on recevait des dessins d’enfants, on nous disait vous êtes formidables, vous nous aidez à nous nourrir, etc. Et très vite après, nous sommes revenus au cœur des critiques.
Je me suis demandé comment on pouvait passer de l’un à l’autre aussi rapidement. J’ai eu envie de mieux faire connaître mon métier. C’est un livre sans prétention qui n’a pas intéressé le grand public, il faut rester modeste.
Vous en ferez d’autres ?
J’ai des projets d’écriture dans la tête, mais il faut du temps.
Vous avez travaillé trois ans à l’Alsace à Mulhouse, vous avez fait votre mémoire de fin d’études sur la PQR, c’est votre premier métier, il est toujours en vous ?
Je n’ai jamais perdu de vue la presse, l’écriture, c’est important pour moi, c’est un peu mon échappatoire.
C’est étrange, un patron d’hypermarché et même un patron du groupement U en France qui a commencé par le journalisme, non ?
La vie est pleine de surprises. Mais attention, j’ai repris l’entreprise familiale ici à 26 ans, alors qu’à 15 ans j’avais juré à mes parents que jamais je ne ferais ce métier. J’ai été rattrapé par l’envie d’être mon propre patron, d’avoir mon équipe, d’être indépendant.
Pour finir, vous voyagez partout en France comme président de Système U, vous êtes né à Colmar, vous vivez à Mulhouse, vous travaillez à Fessenheim, que représente l’Alsace pour vous ?
C’est mon port d’attache. J’adore Paris, mais j’adore revenir en Alsace chaque fin de semaine. Mes racines sont là, j’adore cette terre, j’adore l’humanisme rhénan, j’adore l’état d’esprit des Alsaciens, je suis attaché à tout ça et à la gastronomie.
Êtes-vous un homme heureux ?
Complètement. J’ai une formidable famille et un métier que j’adore. Malgré les difficultés bien sûr, pourquoi je ne serais pas heureux ?
Pour la petite histoire…
Le PDG de Système U est un grand collectionneur de dictionnaires. Il possède par exemple la collection complète des Dictionnaires Amoureux paru chez Plon, il ne s’endort jamais sans ouvrir un dico, il ne peut pas, il en possède plusieurs centaines, mais aussi de premiers numéros de presse. Il a ajouté à sa collection le premier numéro de Maxi Flash Colmar Vignoble et Plaine avec Laetitia Bléger en couverture.
Le chiffre : 22 000
C’est le nombre d’exemplaires vendus du livre Le bonheur est dans le près (L’Archipel) de Dominique Schelcher. C’est plus que la plupart des livres écrits par les hommes et les femmes politiques par exemple. « L’éditeur était très content », commente le PDG de U.
À la question : « Quelles sont les réactions que vous avez le plus souvent entendues après la lecture de votre livre » ?, l’auteur a répondu : « tu as encore le temps d’écrire ».