Ce livre, je l’ai savouré, véritablement. J’ai pris mon temps comme rarement, j’ai parcouru les pages en me laissant envahir par la poésie des mots de Dea Liane. Que ce récit est touchant ! Il est d’une beauté rare, un hommage à celle qui fut pendant plus de treize ans le pilier d’une famille, consacrant sa vie à élever les enfants des autres, nécessaire au bon fonctionnement de la mécanique domestique, le personnage central d’un monde qui aurait été bien fade sans elle. Georgette, la femme de l’ombre, presque invisible, sorte d’auxiliaire de vie, accompagnant jour et nuit dans un dévouement absolu.
L’année de ses 13 ans, Dea Liane voit Georgette disparaître de sa vie du jour au lendemain. De cette tristesse qu’elle n’a pu ou su exprimer ce jour-là, de ce rang qu’il a fallu tenir, meurtrie dans sa chair de cette disparition imposée, l’autrice a choisi au travers de ce récit de déplacer le focus sur cette femme et de la faire sortir de l’ombre imposée. Grâce aux films super 8 que tournait sa mère, elle raconte comment à chaque étape de sa vie Georgette a été là. À travers les images, l’auteur scrute, se souvient. Elle comprend avec le regard décentré des années écoulées ce qui s’est joué dans ce parcours de vie, dans l’histoire de cette femme exilée, obnubilée peut-être par l’idée de donner à ceux dont elle s’occupait cet amour qui lui avait tant manqué. Pourtant Georgette ne s’est jamais resignée et de cette douleur enfouie, elle a su croire au lien à l’autre et au pouvoir de la tendresse, cordon d’amour entre deux territoires.
26 chapitres comme 26 flash-back pour comprendre la partition de ces vies partagées, nous embarquant avec douceur et poésie dans l’exploration d’une superhéroïne qui n’a cessé de coller à la peau de l’autrice, imprégnant son cœur à tout jamais. Ce livre est un témoignage vibrant de tendresse et de sincérité dans cette nécessité de renouer avec ce personnage fondateur. En faisant de la littérature le lieu permis pour enfin dire, elle rend hommage à l’une des voix essentielles de sa vie.
Isabelle Arnould