L’OPABA est plutôt méconnue du grand public. Cependant votre travail est particulièrement important pour l’environnement. Qu’est-ce qui se cache derrière ses cinq lettres ?
L’OPABA est un syndicat pro au niveau juridique, mais on fonctionne de la même manière qu’une asso et on existe depuis 40 ans. En 2019 nous avons intégré l’asso Bio en Grand Est et de ce fait suivi la fusion des régions. Comme on tournait à l’échelle Alsace depuis 30 ans, il a fallu se restructurer, mais on s’est adapté ! Notre organisation est dirigée par 15 administrateurs, des hommes et femmes, tous producteurs bio, qui sont engagés bénévolement pour faire avancer notre agriculture. On pourrait imaginer que tout nouvel exploitant est un concurrent potentiel, mais ceux qui sont investis avec nous l’ont fait parce qu’ils pensent qu’il doit y avoir un passage massif vers le bio pour protéger les sols, la qualité de l’eau souterraine et superficielle, l’air, la santé des paysans et consommateurs, l’emploi et la biodiversité bien sûr ! L’agriculture bio n’est pas parfaite, ça reste une artificialisation de la nature en intensif, mais au moins dans notre mode de production on cherche à travailler avec la nature et pas contre elle, donc on minimise les pollutions. Si tous les fermiers d’Europe respectaient notre cahier des charges, ça ferait une énorme différence !
Quelles sont vos actions concrètes sur le territoire ?
On accompagne des fermes conventionnelles à passer au bio. C’est une opération de sensibilisation, mais aussi de suivi pour le bon développement de leurs projets sur différents aspects : le technique – quelle culture mettre, à quel moment semer, comme désherber sans produits chimiques de synthèse et pesticides -, et l’économique – est-ce que je vais bien gagner ma vie, autant qu’avant, ai-je droit à des aides… Nos interventions sur le terrain se font en complémentarité avec nos collègues de la chambre d’agriculture d’Alsace. On prend tous les éléments en compte pour que le producteur puisse se positionner, mais il y en a un qu’on ne peut pas contrôler : la nature. Elle est difficile à prévoir, on peut arriver au printemps et réaliser qu’il y a trop de mauvaises herbes et que le sol est trop fragile pour un désherbage mécanique. Alors, il faut être prêt à se dire tant pis, la vie de mon terrain est plus importante, je renonce à cette culture et dès que le sol me permettra de rentrer à nouveau dans la parcelle je broie tout, et pour rebondir je ressème par exemple du sarrasin qui se plante tard. Quand on passe en bio, il faut comprendre les bases de l’agronomie et acquérir de nouveaux réflexes, on ne saura jamais à l’avance comment ça va se passer. Si on planifie, les choses se dérouleront forcément autrement.
Peut-on donc dire qu’on a de l’or sous les pieds et pas « juste » de la terre ?
Oui, surtout en Alsace où on peut presque tout faire pousser ! Malheureusement notre campagne est souvent nue, les champs sont marron, parce qu’on fait beaucoup de maïs et qu’entre les périodes de plant, les sols restent inoccupés d’octobre jusqu’en mai suivant. Ils sont alors exposés au vent et à la pluie qui les vident des bons éléments. On accompagne donc les agriculteurs pour les sensibiliser aux intercultures afin que la terre soit couverte de végétal pour développer ses éléments nutritifs plutôt que de se faire lessiver. Et puis ensemble on cherche des solutions pour mieux retenir l’eau et adapter les cultures aux nombreux changements en cours et à venir.
Comment se porte l’agriculture biologique en Alsace ?
De 2010 à 2014, quand on avait 30 conversions par an, on était contents ! En 2015 ça s’est envolé et on a atteint un pic en 2020 avec plus de 200 conversions sur l’année. Puis il y a eu l’inflation, le post covid, la guerre en Ukraine… Nous avons observé une baisse de la consommation du bio partout en France qui impacte forcément les producteurs. D’ailleurs les gens dépensent moins d’argent sur l’alimentation en général !
Le monde viticole a aussi beaucoup souffert et de nombreux agriculteurs qui avaient pour projet de passer en bio ont été refroidis, mais ils continuent à se renseigner en attendant le bon moment pour amorcer le changement. En 2022, 56 fermes se sont tout de même engagées en bio en Alsace, donc on maintient bien l’évolution même si elle est moins impressionnante. Les paysans sont prudents et ce n’est pas un problème, ça ne sert à rien d’avoir trop de produits bio sur le marché, il faut que la consommation reprenne ! Et le gouvernement devrait sensibiliser davantage à l’importance de consacrer une part de son budget à l’alimentation, et au bio, c’est aussi une histoire de santé publique !
D’ici quelques années, le paysage agricole risque d’être bouleversé par de nombreux départs à la retraite d’agri-culteurs qui ne sont pas remplacés. En parallèle, l’État veut atteindre 18% de surface d’agriculture bio en 2027, et nous étions à 11,6% en 2022. Que fait l’OPABA ?
Nous travaillons au renouvellement des générations et sommes en partenariat avec l’association Terre de Liens Alsace qui accompagne les personnes non issues du milieu agricole à s’installer. Nous tentons aussi de remédier aux freins psychosociologiques, c’est une tendance que nous constatons, car ce n’est pas évident – quand il s’agit d’une reprise familiale – de passer du conventionnel au bio. Toutes les conditions le permettent en Alsace, mais il faut rompre avec les habitudes des parents et grands-parents. On propose alors de rencontrer les agriculteurs qui ont plus de 50 ans pour parler de leurs projets d’avenir, c’est une fenêtre de tir. Ensemble on visite les parcelles et on réfléchit à des solutions, notamment le morcellement du terrain pour des personnes qui débutent et qu’on accompagne. Beaucoup d’agriculteurs revendent leurs champs aux voisins, ce qui signifie de moins en moins de fermes et de plus en plus de grosses exploitations qui ne se gèrent pas avec de l’agronomie.
Alors nous aussi nous semons nos graines, à notre façon ! Quant au18%, ça va être dur à atteindre, la FNAB (Fédération Nationale d’Agriculture Biologique) demande des aides plus conséquentes pour soutenir les producteurs bio et les rémunérer pour les services environnementaux qu’ils rendent par leurs démarches. En combinant ces actions à une mobilisation pour communiquer au grand public ce qu’est le bio et son importance tout en pérennisant les filières bio avec des contrats agriculteurs – acheteurs, on pourrait y arriver !
Le chiffre : 1260
Le nombre de fermes en bio en Alsace en 2022, soit 14%.
Propos recueillis et rédigés par Lucie d’Agosto Dalibot