On disait « une heure de cours par année d’âge », on commençait avant ses 18 ans et on passait le permis le lendemain de son anniversaire, assis à l’arrêt dans la voiture, puis on démarrait. Démarrage en côte avec le frein à main, créneau à droite, créneau à gauche, un passage au centre-ville avec un feu rouge, puis un peu de vitesse entre deux villages et l’inspecteur disait c’est bon, le moniteur à l’arrière souriait. Ça comptait aussi pour la moto et on récupérait à la sous-préfecture le document rose en 3 volets, permis A1 A2 et B véhicule de moins de 10 places et d’un P.T.A.C. ≤ à 3,5t. J’avais aussi passé le poids lourd, une seule leçon, j’avais expliqué que c’était pour accompagner mon voisin chauffeur routier en Inde, pour Frères des Hommes, des boîtes de conserve et du lait en poudre, c’était en 1972.
La voiture on l’achetait chez le ferrailleur, si possible une 4L, et on réparait tout nous-mêmes, le carburateur et un peu les freins, le reste, ça roulait comme ça roulait. J’étais en terminale à Molsheim. On avait des mobs, en vrai, un Solex ou une Bima et c’était plus facile d’avoir une bagnole qu’une vraie bécane. Le rêve, c’était une grosse meule, comme la Honda 500 ou la Norton Commando 961. On a eu Augustin qui avait une Kawa et qui est mort à moto avant le Bac, trop vite dans un virage.
Le hasard nous a appris que le pire de nos pions allait aussi à l’auto-école chez Llerena, ce pion c’était vraiment un sale type qui n’arrêtait pas de nous contrôler, il avait déjà une Dauphine, mais pas encore le permis. Le jour où il a passé son examen, toute la classe était dans la rue pour le voir passer. On connaissait le parcours, dès qu’il a démarré, on était devant lui en mob, il met le clignotant pour doubler on accélère, au passage pour piétons on s’arrête pour l’obliger à piler, si on avait pu semer des clous, on l’aurait fait. Ensuite, il garait toujours sa caisse à l’entrée du bahut, on a réussi à la soulever pour mettre des cales et quand il a accéléré, rien, les roues tournaient dans le vide, puis ça a trop vibré et les bouts de bois sont tombés, il est parti à toute blinde, on avait accroché une corde au portail, le portail a tenu, mais c’est le pare-chocs qui a été arraché et lui a foncé dans le mur de l’autre côté.
J’ai revu le pion une vingtaine d’années plus tard, il était prof à la Fac et président d’une section d’Amnesty International, il m’a dit qu’il ne se souvenait pas de sa Dauphine et que pour lui Molsheim restait le souvenir d’une ville très sympathique.
Ambroise Perrin