jeudi 21 novembre 2024
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Trois frères pris dans l’incorporation de force – Les Regards de Simone

Les trois frères Clementz avaient à peine la vingtaine lorsqu’ils furent incorporés de force. Un seul est revenu, les autres figurent parmi les 40 000 « non rentrés » sur les 130 000 Alsaciens-Mosellans qui furent victimes de l’incorporation de force, décrétée au mépris du droit international. Aujourd’hui, 80 ans plus tard, les plaies ne sont toujours pas pansées. Et les historiens s’offusquent du déni pratiqué dans les livres d’Histoire sur ce drame.

Ces trois frères étaient originaires de Reutenbourg, un village près de Marmoutier. À gauche pose Antoine, né en 1922, un garçon cultivé, qui était sur le point d’être instituteur. Il avait passé l’Abitur, le baccalauréat allemand, chez les pères de la Mission Saint-Florent à Saverne. Il ne put jamais exercer, car il fut « appelé sur le front russe ». Il a envoyé une lettre dans laquelle il disait « qu’au printemps, en Russie, la nature était très en retard par rapport à l’Alsace », ajoutant dans sa lettre : Russland ist ein seltsames Land voller Überraschungen (la Russie est un étrange pays empli de surprises). Il mourut à Belgorod, en Russie, le 6 août 1943. C’est le pays où il fut enterré et où pas un des siens n’a pu se rendre pour se recueillir devant ses restes.

À droite sur la photo, se tient son frère Joseph, né en 1920. Sur la photo, il porte un pantalon de golf qu’il a cousu lui-même. Il venait de finir son apprentissage de tailleur, lorsque, par l’incorporation de force, il se retrouva sur l’île de Sylt et fut tué le 5 juillet 1944 à Tarnopol, une ville qui se trouvait en ce temps-là en Pologne et qui est aujourd’hui ukrainienne. Son corps ne fut jamais retrouvé. Entre les deux frères emportés se tient Leo, né en 1921. Lui est revenu du front russe. Il est resté célibataire. Il a repris la ferme avec sa sœur Joséphine, qui est la maman d’Antoinette, enseignante, qui tient le portrait de ses oncles sur la photo. Il est mort en 1997, en évitant de parler des années que la guerre lui avait volées et des douleurs endurées.

Ce « Reifezeugnis » (diplôme d’études secondaires) atteste qu’Antoine Clementz a réussi le baccalauréat et qu’il est apte pour le service militaire. / ©DR

Croire qu’il s’agit là de l’évocation d’une « histoire ancienne », c’est ignorer que, 80 ans après, les mémoires sont encore chavirées. Les familles ont cruellement vécu la perte brutale des leurs. Les familles des disparus ne parvinrent pas à faire leur deuil, car elles ne disposaient souvent d’aucun objet, d’aucune preuve du décès de leur proche. De plus, avec les prisonniers rentrant au compte-gouttes, s’entretenait le fol espoir d’un retour possible. Jean-Jacques Remetter fut le dernier rentré de captivité. C’était en 1955 ! La guerre lui avait volé quinze années de sa vie, sans compter celles qu’il lui fallut pour se reconstruire.

Ce crime de guerre caractérisé fut officieusement dénoncé, en vain, par le gouvernement de Vichy. Ceux qui refusaient de porter l’uniforme allemand étaient rééduqués au camp de sûreté de Schirmeck, certains furent exécutés dans des camps de travail. Leurs biens furent mis sous séquestre et les familles déportées. Les fuyards étaient sujets à la loi martiale et à la peine de mort.Huit décennies après, les familles sont encore blessées d’avoir été ainsi livrées à elles-mêmes, abandonnées par la Mère-Patrie, face à cet abus de pouvoir.

Ce « Reifezeugnis » (diplôme d’études secondaires) atteste qu’Antoine Clementz a réussi le baccalauréat et qu’il est apte pour le service militaire. / ©DR

Nicolas Sarkozy a rendu hommage aux incorporés de force. C’était une première, en mai 2010, à Colmar, soixante-cinq ans après la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie en 1945. « Les Malgré-nous ne furent pas des traîtres, mais, au contraire, les victimes d’un véritable crime de guerre », a-t-il dit, ajoutant, « au-delà des souffrances que l’Alsace a partagées avec tous les Français du fait de la guerre et de l’Occupation, il y a une souffrance terrible qu’elle est la seule, avec la Moselle, à avoir subie. »

Il y a eu des esprits chagrins pour dire que l’hommage arrivait tardivement. Mais il est au moins venu. Il reste que cet hommage n’a été rendu qu’en région et, qu’au plan national, il n’y a pas eu de rétablissement de cette vérité de l’Histoire. C’est une lacune qu’Emmanuel Macron devrait combler. Ce ne serait que justice. Il aiderait ainsi les Alsaciens à se libérer du poids de la culpabilité générée par les insupportables allusions à une incorporation qui n’était peut-être pas « de force ».

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