jeudi 21 novembre 2024
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Un rituel disparu : Les betteraves creusées de la Toussaint

C’était bien avant qu’Halloween, fête folklorique et païenne fortement célébrée en Angleterre, en Amérique, au Canada et en Australie, ne fasse déferler dans les années 1980 la passion des citrouilles creusées en forme de visages. La tradition alsacienne des betteraves creusées qui simulent des têtes de mort (Tòtekepf), a quant à elle totalement disparu. On pourrait hâtivement croire que cette tradition des betteraves éclairées est d’origine celtique, étant donné qu’Halloween est liée à la fête celte nommée Samain (ou Samhain), qui désigne le Nouvel An celtique qui marquait la fin de l’été et le début de l’hiver, avec des citrouilles creusées. Or, il n’en est rien. Sébastien Gunther, actif dans les domaines du patrimoine, de l’Histoire, et qui fait de la reconstitution archéologique d’époque mérovingienne, précise que les Rübengeister (c’est-à-dire les esprits qui se logent dans les raves) ne relèvent pas d’un rituel celtique, mais germanique.

Elles étaient généralement posées sur un rebord de fenêtre, un mur de ferme ou de cimetière ou dans les fourrés. / ©S.Morgenthaler

« Les Rübengeister sont connus partout en Allemagne, dit-il, comme en Autriche, Suisse, Danemark, Belgique, Flandres françaises, autrefois en Alsace et Moselle, ainsi que sur les îles britanniques, donc sur certains territoires qui n’ont jamais connu de présence celte. Mais cette coutume est inconnue sur les territoires celtes de Gaule. Au vu de la répartition géographique, il s’agit plus probablement d’une coutume germanique, importée sur les îles britanniques par les Saxons, Angles, Jutes, Frisons, Danois, et d’une partie de l’Irlande vers les États-Unis ; les betteraves ont été adaptées en citrouilles. Le lien avec le Samhain celte
est donc fortuit. »

Un texte sur ces betteraves creusées publié sur mon site a révélé un véritable engouement venu, non seulement d’Alsace, mais aussi de Moselle où la Rommelbootzennaat désigne « la nuit des betteraves grimaçantes ». Ces betteraves sont aussi présentes dans le nord de la France. En Suisse, la fête Räbeliechtli est réputée : des lanternes éclairées de bougies sont sculptées dans des raves, de forme ronde, qui proviennent souvent de la variété Herbstrübe « Zürcher ».

La nuit venue, leur éclairage à la bougie crée une ambiance étrange et mystique. Ce rite séculaire est d’origine germanique et non celtique. / ©S.M

Les betteraves utilisées en Alsace pour tailler les têtes de mort n’étaient jamais les potagères (nommées Rotràhne), rarement les betteraves sucrières (nommés Zùckerle), mais principalement les betteraves fourragères (dites Dìrlìpse ou Füeterrüewe). Ce sont ces betteraves qui sont servies comme nourriture au bétail qui en raffole. Nos lapins s’en délectaient aussi. Il suffisait de les regarder et de les écouter planter leurs incisives dans les quartiers juteux. En voulant revenir cette année vers cette tradition séculaire, je me suis heurtée à une difficulté première : la culture de la betterave fourragère a quasiment disparu, supplantée par le maïs ensilage, un fourrage plus aisé à produire et à stocker. Car les betteraves nécessitent plus de soin, et doivent, pour être protégées du gel, être mises dans un grand silo de terre (e Dìrlìpseloch) puis recouvertes de terre et de paille.
Grâce à Alphonse Nuss, de Geispolsheim, infirmier-cultivateur à la retraite qui produit encore des betteraves pour sa petite agriculture, j’ai pu refaire avec bonheur le geste de les creuser, un geste qui se désigne dans ma langue maternelle par le terme Dìrlìpse üshelische ou Dìrlìpse üsschnapfle. J’ai pu ainsi vous fournir ces photos. Elles vous donneront peut-être envie de faire revivre à votre tour ce rituel touchant venu de la nuit des temps.

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