jeudi 21 novembre 2024
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Sybille de Dietrich tirée de l’oubli par Elisabeth Messmer-Hitzke

J’ai découvert récemment, éblouie, Sybille de Dietrich, personnalité attachante du siècle des Lumières, qui fut l’épouse du premier maire élu de Strasbourg, guillotiné sous la Terreur. Et ce grâce à un livre d’Elisabeth Messmer-Hitzke, qui a mené un travail impressionnant pour nous faire vivre l’itinéraire de cette figure oubliée de la famille de Dietrich. Le livre a paru il y a cinq ans et Maxi Flash lui avait alors consacré un article. J’avais rencontré Elisabeth, il y a une vingtaine d’années à Haguenau, grâce à une amitié partagée avec le peintre Camille Claus. Elle avait créé en ce temps-là un site fédérateur (netcomete.com) autour d’éléments culturels haguenoviens puis niederbronnois. J’ai repris contact avec elle après la lecture du livre pour lui poser quelques questions.

Comment vous est venue l’idée d’écrire sur Sybille de Dietrich, quasi inconnue ?

Elisabeth Messmer-Hitzke : Le siècle des Lumières me tient tout particulièrement à cœur, tout autant que la mise en valeur d’êtres bienveillants, passionnés et résilients. Alors que j’étudiais la vie post-Goethe de Frédérique Brion et de sa sœur Sophie, il me fallait en savoir davantage sur la baronne qui les avait reçues à Rothau, Sybille de Dietrich. J’ai commencé par découvrir des lettres de cette dernière aux archives privées de Dietrich… et j’en fus comme happée ! Une symbiose ! L’historien, avec beaucoup de précautions, a cette capacité de résurrection, de redonner forme aux mânes inspirantes.

Je savais que vous aviez une belle plume, mais comment procéder pour une telle biographie historique ?

EMH : Étymologiquement l’Histoire est «enquête». À partir d’un socle de connaissances sérieuses, c’est surtout une longue aventure de recherches à d’innombrables endroits, hors des sentiers aux informations officiellement admises, pour reconstituer au mieux le puzzle, avec patience et sacrifices, mais aussi échanges, questionnements et belles rencontres. Rien n’est figé. Il a été également important de s’imprégner en direct de tous les lieux de vie et de sépulture de Sybille et de ses proches. Et de récolter tous azimuts l’iconographie en rapport. Quant au long travail de mise en forme, d’écriture, de peaufinage, il m’a permis d’allier à la fois mon côté scientifique, littéraire et artistique.

Sybille Louise de Dietrich née Ochs avec son fils aîné Jean Albert Frédéric (dit Fritz). Date estimée 1774. Son cou n’est pas paré d’un collier, mais d’un trait grossier imitant le couperet de la guillotine et probablement rajouté par un Jacobin indélicat entre la séquestration des biens (septembre 1792) et leur restitution (automne 1795). / ©Familienstiftung Ochs-His’sches Fideikommiss
On a l’impression que vous avez vécu à cette époque pour pouvoir la relater avec tant de naturel et de justesse.

EMH : J’étais entrée dans une autre dimension, un espace-temps particulier ; je baignais dans toutes sortes de documents anciens souvent inédits que je consultais, décryptais, traduisais, touchais délicatement, reniflais, jusqu’à finir par rêver XVIIIe siècle ! Derrière les faits historiques, il y a aussi la psychologie d’êtres humains dans leur vie officielle et leur vie privée. Il a fallu s’ouvrir, sans préjugés, pour que Sybille se dévoile subtilement et au plus juste, tout comme son entourage, dans des contextes historiques particuliers.

Élisabeth Messmer-Hitzke est l’auteure de nombreux écrits et contributions historiques. / ©dr
Ce livre en contient plusieurs ; il touche ceux qui s’intéressent à Napoléon, au protestantisme, à la franc-maçonnerie, à l’aristocratie, à la manière de vivre au XVIIle siècle, à la Révolution, à l’histoire de la famille de Dietrich, de l’industrie de la forge, à l’amour d’une femme pour son mari et pour ses enfants avec l’immense douleur de leur perte, à la joie des partages avec ses petits-enfants, à l’affection pour son jeune amant lorsqu’elle fut veuve. Comment s’est déroulée sa sortie de l’ombre ?

EMH : J’ai envie de dire que Sybille a souri, libérée. Elle est entrée dans le cercle des femmes remarquables d’Alsace. Effectivement il y a eu de chaleureux retours de personnes aux formations, centres d’intérêt et réseaux très différents, avec cette impression partagée de découvrir de manière fluide et inhabituelle des périodes historiques marquantes en compagnie d’une personne atypique. Hormis des articles dans divers médias régionaux et nationaux, le livre a fait partie des quatre ouvrages retenus pour le prix littéraire Montesquieu et Sybille s’est retrouvée il y a deux ans dans un ouvrage en allemand qui relate de personnalités méconnues de Suisse ! Des indices servent désormais à d’autres chercheurs. Il y a partage, donc avancées. Mais pour oxygéner la rigueur des écrits scientifiques de ces dernières années, il a fallu que je replonge dans l’écriture poétique, musicale et de nouvelles qui laissent exulter l’imagination, entre deux autres projets… Sybille vit désormais sa seconde vie à son rythme, elle ne m’appartient pas.

Je n’ai retiré́ ces lettres de dessus mon cœur avec des cheveux de mon mari que lorsque les papiers se décomposèrent et que les cheveux tombèrent ; 9 mois après sa mort. Sybille, incarcérée à Besançon, portait contre sa poitrine les derniers messages envoyés par son époux avant son passage à la guillotine et une mèche de ses cheveux, en guise de consolation. / ©Archives De Dietrich, 1794

Sybille de Dietrich, une femme des Lumières en quête de liberté. Préface de Daniel Fischer.
Éditions de La Nuée Bleue (2018), avec deux encarts illustrés.

On retrouvera aussi des études avec documents inédits d’Elisabeth Messmer-Hitzke dans De Dietrich, Des Lieux de Mémoires (ADD, 2016), des revues de l’Essor, de la SHARE entre 2016 et 2020, notamment Maux et remèdes fin XVIIIe- 1er tiers XIXe, la contribution au gros ouvrage richement illustré et commenté sur le Directeur des forges Jean Valentin Haas (SHARE, 2021). Sortie en juin 2023, à la SHARE, la revue hors-série : Promenade historique illustrée avec Eugène de Dietrich (1844-1918).

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