Je suis sous l’eau m’a dit ma voisine sur un drôle de ton, l’autre jour alors qu’elle sortait de chez elle comme si elle avait un off-shore à prendre ou un colis à retirer. Sa réponse faisait suite à ma question : On ne se voit plus beaucoup en ce moment, t’as pas envie que l’on se fasse une petite soirée ? Alors, elle a dit qu’elle était sous l’eau, ce qui, vous l’avez compris, n’en apportait pas à mon moulin. Je suis sous l’eau, est devenu une excuse soluble dans l’hypocrisie primaire de notre époque, un barrage comme les gros lourds comme moi qui ne pensent qu’à pécho sans doute, mais surtout une expression très à la mode de chez nous. Elle signifie je suis très occupé, mais surtout je n’en ai rien à carrer de tes petites soirées et de tes plans (d’eau ?) Pourtant, comme on se voit beaucoup plus sur les réseaux sociaux que dans la vraie vie, j’ai remarqué que ma voisine était très active, à la fin de la journée on sait à peu près ce qu’elle a fait, si elle a mangé un tartare de la mer et avec qui et sur quel banc. Alors que j’étais devant ma salade de crabe (bon citoyen, je fais des économies de gaz), je me suis demandé si quelqu’un sous l’eau a le temps de s’adonner à une activité aussi chronophage qu’informer les autres sur les grands moments de son existence. En fait, on est tous sous l’eau, je me suis dit ce matin sous ma douche froide (je fais aussi des économies d’eau chaude, je teste la vie ambiance austère). On considère que poster des trucs sur Insta ou Tik Tok fait partie des tâches essentielles. Trois heures de réseaux sociaux minimum, sinon, t’existes pas. Moi-même, j’ai failli ne pas écrire ma chronique tellement je suis sous l’eau en ce moment, comme tout le monde. En attendant, ce soir-là, comme ma voisine faisait de la plongée sur Internet, j’ai noyé ma solitude en dansant sur l’eau, heureux comme un poisson dans l’océan avant l’avènement de la pêche au gros. Bon, je vous laisse, je suis sous l’eau, j’ai encore un colissimo coincé quelque part.