Ce jeudi après-midi du 20 février 1986, Coluche sonne à la porte de l’usine Bugatti à Molsheim. Le matin, il était à Strasbourg, non pas pour enregistrer un épisode du Schmilblick avec Guy Lux, mais pour rencontrer Pierre Pflimlin le président du Parlement européen. Coluche n’avait pas vraiment rendez-vous, mais il était entouré de journalistes complices… Il porte sa célèbre salopette rayée et croise dans les couloirs des députés en costumes cravates. Coluche vient de créer les Restos du Coeur et il est là avec une idée qu’il trouve géniale : récupérer les excédents alimentaires européens. Il annonce avoir le soutien de Jacques Delors, le président de la Commission à Bruxelles.
Pierre Pflimlin est abasourdi, il bouscule son emploi du temps et lui explique les mécanismes de la politique agricole commune. Coluche l’interrompt : « j’ai plein de gars qui attendent avec de gros camions, faut aller où pour les quotas laitiers ? ». Un député européen belge, José Happart, spécialiste d’agriculture l’accompagne, les Restos du Coeur fonctionnant déjà en Belgique. Pierre Pflimlin bafouille qu’il va l’aider, et lui propose une réunion avec des députés et des administrateurs. Coluche fait la vedette dans une foule de curieux. FR3 Alsace veut l’interviewer, le journaliste a une splendide idée pour être seul avec l’artiste, prendre l’ascenseur, le bloquer entre 2 étages et filmer dans le miroir pour avoir ainsi assez de recul. Coluche pense à la publicité pour les Restos et dit banco !
Plus tard, le président Pflimlin dira que ce fut un des moments les plus insolites de sa carrière politique et un excellent souvenir w! La bureaucratie sera la plus forte, Coluche n’aura pas le beurre, mais il aura l’argent du beurre, un gros, très gros chèque signé par le Parlement européen, qui va créer avec la Commission le PEAD, le Programme européen d’Aide aux plus démunis, fonctionnant sans frais grâce aux milliers de bénévoles des Restos du Coeur.
Maintenant Coluche est au Hardtmuhle, l’usine automobile de Molsheim. Il veut voir le patron de Bugatti. On lui explique que les ateliers sont fermés. Là encore, Coluche n’est pas tout seul, les étudiants de l’école de commerce de Strasbourg et ceux de Bruxelles sont là pour faire pression. Il y a aussi deux Américains très riches, la chanteuse Cher et l’acteur Nicolas Cage, collectionneurs de voiture de luxe. Coluche les avait rencontrés pendant un séjour à New York sur le tournage du film Banzaï de Claude Zidi. Dans l’atelier il fait son numéro avec un bagout imparable : des dizaines de milliers de gens n’ont pas 5 francs pour manger et il y a au musée de la Chartreuse un prototype Bugatti type 253 modèle 1962 qui prend la poussière, donnez-moi la bagnole qui vaut des millions, cadeau de Noël, et moi, je la revends aux Américains.
On téléphone en Italie à Romano Artioli, le patron de Ferrari qui vient de racheter Bugatti. Les membres de l’association Enthousiastes Bugatti Alsace, présidée par Paul Kestler et les habitants de Dorlisheim qui travaillent pour Bugatti au Château Saint- Jean, se mobilisent. « Coluche avec nous ! Elle est où là type 253 ? Dans un camion pour l’Amérique ! ». On applaudit au passage du camion dans les rues de Molsheim. La Bugatti est-elle vraiment dedans, Coluche ne répond pas. Il dit juste qu’il aurait bien aimé la conduire et faire un petit tour de vitesse, comme avec sa moto. Tant pis, ce sera pour une autre fois, il a dans la poche de sa salopette un chèque en dollars qui va lui permettre d’ouvrir des dizaines d’antennes de Restos du Coeur. Et il embarque les Amerloques, les étudiants et les journalistes à la Metzig pour une tarte flambée.